dimanche 28 mai 2023

DÉVERGONDÉ(E), DÉVERGONDER, adj., verbe

 s] Elle [la chattese léchait encore, ronronnait, faisait la belle, jusqu'au soir où, dévergondée, dans les coups de griffes et les miaulements, elle allait en chercher une ventrée nouvelle (ZolaJoie de vivre,1884, p. 856).Toby-Chien (...). La chienne de la ferme (...) m'accueillerait comme elle accueille... n'importe qui. Dévergondée, oh! ça... Mais bonne fille, odorante (ColetteDialog. bêtes,1905, p. 27).

B.− P. ext. Qui est en dehors des normes morales, sociales; qui est caractérisé par un excès. Synon. déréglé.J'ai inventé les idoles à quatre bras, les religions dévergondées (Flaub.Tentation,1856, p. 591).Il faut des paradoxes de style, des expressions monstrueuses, des idées dévergondées, des anecdotes crues (TaineNouv. Essais crit. et hist.,1865, p. 8).
− Rare [Sans idée morale] Qui, en devenant excessif, rompt les cadres habituels de sa manifestation. Synon. débridé, délirant.Avez-vous à Lyon un temps aussi dévergondé qu'ici? (Mmede Chateaubr.Mém. et lettres,1847, p. 268).Je n'ai jamais vu de fleurs et de graminées sauvages si (...) dévergondées (SandM. Sylvestre,1866, p. 202).Vers déplorables frappés au coin du prosaïsme le plus dévergondé (ArnouxChiffre,1926, p. 94).
III.− Subst. fém.
A.− Vieilli. Jeune fille ou femme vivant en dehors des normes morales, sociales. Tu es fou, mon ami. Une fille qui ne ferait pas sa première communion! comment la marierais-tu? quelle situation de déclassée, de dévergondée, lui créerais-tu dans la vie?... (ZolaVérité,1902, p. 312).
− En partic., vx, péj. Fille ou femme du peuple, par opposition à une bourgeoise. Les demoiselles de la famille logée au premier rencontraient le matin dans les escaliers des dévergondées sans corset (BalzacŒuvres div., t. 3, 1836-48, p. 127).
B.− Usuel, dans le domaine moral
1. Jeune fille ou femme menant une vie de débauche. Être une dévergondée. Garçons, qui prennent leur plaisir avec les dévergondées (MosellyTerres lorr.,1907, p. 91).Elle [Cajitase donna dans un râle. Elle eut des curiosités de petite fille et des pratiques de dévergondée (...) Incontinence de paroles tendres. Mignonneries (CendrarsHomme foudr.,1945, p. 159):
3. Ils [les jeunes gens] ont beau se coiffer de travers, mettre des souliers de toutes les couleurs, et danser à la manière des jolis cœurs de ville, une femme sans mœurs qui veut prendre de son plaisir, devrait les traiter comme des gamins (...) Pensez! les grands-mères de ces gosses-là ne plaisantaient pas sur la chose, ils ont la pudeur dans le sang. Une dévergondée, ça leur fait d'abord un peu peur, et lorsqu'ils n'ont plus de crainte, ils joueraient aussi bien avec elle comme avec un chat perdu. BernanosM. Ouine,1943, p. 1539.
2. P. anal. [En parlant de femelles d'animaux domestiques] Où erre la dévergondée [la chienne]? (ColetteMais. Cl.,1922, p. 233).
Prononc. et Orth. Cf. dévergonder.  Fréq. abs. littér. : 60.  Bbg. Mat. Louis-Philippe 1951, p. 70, 71, 242.

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A.− Domaine moral.Se livrer au dévergondage, mener une vie licencieuse et libertine :
Elle pratique l'adultère et elle se dévergonde; les amants se succèdent et, quand ils sont taris, elle les rejette comme des écales. HuysmansEn route,t. 2, 1895, p. 73.
B.− P. ext. S'écarter des préceptes moraux socialement reconnus. Les mœurs de ces montagnards qui étaient honnêtes, lorsqu'ils étaient pauvres, se dévergondèrent (HuysmansFoules Lourdes,1906, p. 100).
Rem. Certains dict. ont une entrée dévergonder, verbe trans. (Ac. Compl. 1842, Besch. 1845, Lar. 19e, Guérin 1892, Lar. Lang. fr.). On ne trouve qu'un ex. métaph. de cet emploi ds la docum. : Une énorme réserve d'amour me gonflait; parfois elle affluait du fond de ma chair vers ma tête et dévergondait mes pensées (GideImmor., 1902, p. 458).
Prononc. et Orth. : [devε ʀgɔ ̃de], (je me) dévergonde [devε ʀgɔ ̃:d]. Ac. 1694-1932 admet le part. passé et adj. dévergondé en soulignant que le verbe n'est pas en usage.  Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1170 part. passé adj. desvergondé « qui mène une vie déréglée ». (B. de Sainte-MaureChron. des ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 14200); [av. 1475 inf. « pousser à la débauche » (G. Chastellain, s. réf. ds L. DochezNouv. dict. de la lang. fr.)]; 1530 (Palsgr., p. 627); 1676 pronom. « se jeter dans la débauche » (BenséradeMétamorphoses d'Ovide en rondeaux, p. 103); b) 1515 part. passé adj. « qui marque le dévergondage (de quelque chose) » (BoccaceDes nobles malheureux, II, 19, fo45 vods Gdf. Compl.); 2. 1833 fig. part. passé adj. « d'une fantaisie excessive » (GautierJeunes Fr., p. 19 ds Mat., p. 242 : Cela est plus bachique et plus dévergondé, cela a plus de caractère); 1902 inf. « pousser à la fantaisie » (GideImmor., p. 458). Dér. avec préf. dé(s)-* (lat. dis-); suff. *; dés. -er, de l'a. fr. vergonde « vergogne » (1erquart du xiiies., Reclus de MolliensCharité III, 10, Van Hamel ds Gdf.) réfection de l'a. fr. vergo(i)ngne* d'apr. le lat. verecundia.  Fréq. abs. littér. : 5.

TACITURNE, adj.

 A. − Qui, par tempérament, parle peu; qui est laconique. Synon. morne1silencieux; anton. babillard, bavard, communicatif, expansif.Âme, cœur, humeur taciturne; caractère, élève, enfant, montagnard, paysan taciturne; sombre et taciturne; triste et taciturne. Richelieu sentait en M. de Saint-Cyran, sous son air réservé et taciturne, un ressort secret de puissance dont il tenait à s'assurer (Sainte-BeuvePort-Royal, t. 1, 1840, p. 315).Le livre [American Note-Books de Hawthorneest plein de petites phrases de ce genre, sans développements, sans bavardage, paroles d'un homme taciturne, rêveur, secret (GreenJournal, 1944, p. 160).

− Empl. subst. Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne, Ô vase de tristesse, ô grande taciturne (Baudel.Fl. du Mal, 1857, p. 43).Celui-ci connaissait depuis l'enfance le trait distinctif de son cadet, cette froide retenue de parole sur tout ce qui le concernait; il dut renoncer à obtenir de ce taciturne le beau récit de bataille qu'on attendait à la Bourdette(VogüéMorts, 1899, p. 256).
B. − Qui, en certaines circonstances, refuse de parler, garde silence. Synon. muet, silencieux.Être taciturne; foule taciturne. L'accusateur public et l'un des juges du tribunal révolutionnaire restaient taciturnes, observaient avec attention les moindres mouvements de sa physionomie (BalzacRéquisit., 1831, p. 145).On voyait qu'il eût apprécié le réconfort d'un sourire. Mais, sans nous être consultés, nous demeurions taciturnes et le visage fermé, et à la fin notre mutisme lui pesait certainement davantage que n'avait fait notre indignation le quart d'heure d'avant (AmbrièreGdes vac., 1946, p. 268).
C. − Rare. Silencieux. Antre, ciel, colline, heure, maison, nuit, tombeau taciturne; arbres, lieux taciturnes. Le silence règne dans ces hôtels neufs, qui n'ont ni souvenirs ni passé et qui font songer à ces palais enchantés, déserts et taciturnes, entretenus par un génie invisible (Viollet-Le-DucArchit., 1872, p. 257).La lune se mirait dans le lac taciturne, Pâle comme un grand lis, pleine de nonchaloirs (MoréasSyrtes, 1884, p. 37).
REM. 
Taciturnement, adv.,rare. D'une manière taciturne; sans parler. Synon. en silence.Muet comme une carpe et ivrogne comme le biscuit, il se remplissait taciturnement (ArnouxRossignol napol., 1937, p. 92).
Prononc. et Orth.: [tasityʀn]. Att. ds Ac. dep. 1694.  Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1485 « où il n'y a pas de bruit » voye taciturne (Mist. Viel Testament, éd. J. de Rothschild, t. 1, p. 14, vers 344); cf. déb. xvies. silence taciturne (J. Lemaire deBelgesLe Temple d'honneur et de vertus ds Œuvres, éd. J. Stecher, t. 4, p. 218); b) id. « qui a le caractère du silence » nuict taciturne (Id.La Couronne margaritiqueibid., p. 43); cf. 1827 la nuit, taciturne, voilée (Baour-LormianOssian, p. 4); 1859 « qui ne laisse rien exprimer » clôtures taciturnes (FromentinSahel, 2eéd., 1893, p. 29); 2. a) 1530 « qui est de tempérament, d'humeur à parler peu » (Palsgr., p. 325); b) 1680 « propre à celui qui n'aime pas parler » humeur taciturne (Rich.). Empr. au lat. class.taciturnus « taciturne, silencieux » dér. de tacitus, v. tacite.  Fréq. abs. littér.: 433. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 503, b) 658; xxes.: a) 777, b) 591.  Bbg. Quem. DDL t. 3 (s.v. taciturnement).