jeudi 5 novembre 2020

DÉSIR, subst. masc.

 

Action de désirer; aspiration profonde de l'homme vers un objet qui réponde à une attente.
I.− Absolument
A.− [Le subst. est au sing., avec l'art. le] Mouvement instinctif qui traduit chez l'homme la prise de conscience d'un manque, d'une frustration. Le désir aveugle; l'appel, l'exaltation du désir. Le désir n'est point la volonté; mais seulement une passion de la volonté (J. de MaistreSoirées St-Pétersb.,t. 1, 1821, p. 431):
1. La pauvreté garde à ceux qu'elle aime le seul bien véritable qu'il y ait au monde, le don qui fait la beauté des êtres et des choses... le DésirA. FranceLa Vie en fleur,1922, p. 341.
− En partic., PSYCHOL. ,,Tendance spontanée et consciente vers une fin avec représentation de cette fin`` (March.1970) :
2. Le désir n'est pas virtualité pure. Nous le percevons encore comme sentiment qu'il a déjà mis sa griffe sur tout l'organisme, mobilisé de tous côtés les premiers gestes de sa réalisation, qui tiennent le corps et le psychisme en état d'alerte. MounierTraité du caractère,1946, p. 424.
B.− 
1. [Le subst. est au sing. avec l'art. un, ou au plur.] Aspiration instinctive de l'être à combler le sentiment d'un manque, d'une incomplétude. Un désir confus, fugitif, profond. Je suis sans désirs, (...) et supérieure comme quelqu'un qui a mangé plus que son saoûl (ColetteMais. Cl.,1922, p. 109).Un désir haineux qu'il comptait bien assouvir un jour (AyméTravelingue,1941, p. 187).
SYNT. Un désir constant, continuel, incessant, intense, irraisonné, sournois, vague; accéder, acquiescer à un désir; contenter, contrecarrer, exaucer, exprimer, formuler, réprimer, satisfaire un désir; au gré de ses désirs, selon ses désirs.
2. [La pers. qui désire est exprimée] Le désir de qqn; mon, ton... désir. Après avoir résisté opiniâtrement au désir de sa mère, il s'était décidé tout d'un coup (SandHist. vie,t. 1, 1855, p. 169).Faire la Table des désirs idiots de l'homme(ValérySuite,1934, p. 66).
− Fam., vieilli. À ton (votre) désir. Comme tu (vous) le désires(ez). « Moi, j'f'rai à ton désir. Je n'veux pas t'faire tort » (Maupass.Contes et nouv.,t. 1, Retour, 1884, p. 169).
Rem. Désir se substitue parfois par discrétion aux mots ordre, volonté, dans des cont. où ces termes auraient un caractère trop accusé (cf. vos désirs sont des ordres).
− Rare. [Le désir concerne plus partic. un attribut de la pers.] La tonique en cette occasion satisfait tous les désirs de l'oreille (Mathis-LussyRythme mus.,1911, p. 50).
− En partic. Subst. + de désir.
♦ Homme, femme de désir(s). Qui désire. Homme de désir, ne laisse donc plus ébranler ta confiance par les injustices de tes semblables (Saint-MartinHomme désir,1790, p. 41).Moi, fils par l'esprit des hommes de désirs, je n'engendrerai qu'un froid critique ou un bibliothécaire (BarrèsHomme libre,1889, p. 192).Avec elle [Jeanine], vous n'aurez que la femme de désir et de mort, dont la robe, derrière elle, sème le deuil (ZolaOuragan,1901, III, 4, p. 483).
♦ Baptêmede désir. Qui est désiré.
II.− [Accompagné d'un compl. désignant l'obj. désiré] Tendance consciente de l'être vers un objet ou un acte déterminé qui comble une aspiration profonde (bonne ou mauvaise) de l'âme, du cœur ou de l'esprit.
A.− [L'obj. désiré est une chose]
1. [L'objet est une chose concr.] Convoitise d'un bien matériel qui satisfasse l'instinct de possession, un appétit. Le désir du gain, de l'or, des richesses.
2. [L'objet est une chose abstr.] Désir d'éternité, désir des honneurs. Un désir de perfection absolue qui se traduit par (...) l'amour de l'ordre (MounierTraité caract.,1946, p. 143):
3. ... il [Nerval] obéit, par juvénile désir de gloire, à l'envie de se faire une originalité, qui n'ait plus besoin des modèles classiques... DurryGérard de Nerval et le mythe,1956, p. 30.
a) [Le compl. est un nom d'action] Portraits, paysages, (...) natures-mortes, nudités ont tout à tour sollicité son ardent désir de création [de Manet] (MauclairMaîtres impressionn.,1904, p. 57):
4. ... Joseph reçut la visite d'un journaliste (...). Comme son désir d'évasion était vif, Joseph Pasquier allait se dérober, mais il pensa qu'il ne fallait jamais refuser de la publicité gratuite. DuhamelChronique des Pasquier,La Passion de Joseph Pasquier, 1945, p. 179.
b) [Le compl. est un inf.] Le désir de plaire; avoir, caresser, exciter, inspirer le désir de faire qqc. Un désir ardent de manger lui mouillait la bouche de salive (Maupass.Bel-Ami,1885, p. 107).Le désir éperdu de durer et de posséder(CamusHomme rév.,1951, p. 323).
− [Le compl. est un vœu à caractère solennel] Votre mère a, paraît-il, exprimé souvent à ses compagnons le désir d'être enterrée religieusement (CamusÉtranger,1942, p. 1127).
c) [Le compl. est une prop. complétive] J'ai ce désir qu'à l'heure ardente de ce mois Le bois frais et touffu se serre autour de moi (NoaillesCœur innombr.,1901, p. 81).
− En partic.
♦ Fam. Avoir désir de + inf./que + subj.On amène el'viau autant dire à la cuillère?... et juste au moument qu'on a désir qu'i soy'e vêlé? (Martin du G.Gonfle,1928, III, 1, p. 1216).Les copains (...) avaient désir de retrouver leur libre solitude(DuhamelDésert Bièvres,1937, p. 199).
♦ Rare. [L'expression de la pers. qui éprouve le désir est en concurrence avec celle de l'obj. du désir] Le désir des parents de voir leurs enfants. Je le ferai prévenir [le comte de Restauddu désir que vous avez de le voir (BalzacGobseck,1830, p. 424).Juste milieu, je t'ai toujours mal reniflé, Malgré tout mon désir de vivre mieux réglé (VerlaineŒuvres compl.,t. 3, Invect., 1896, p. 411).
B.− [L'obj. du désir est une pers.] Instinct physique qui pousse l'homme au plaisir sexuel, aux satisfactions des ardeurs de l'amour; convoitise qui pousse à la possession charnelle. Désir amoureux, charnel, coupable, inassouvi :
5. Crains plutôt ce désir d'amour où je me pâme malgré mon âme. Sais-tu si nos baisers satisferaient cette agitation? Veuille ne pas jouer ainsi de mon repos; prends garde que ton haleine n'éveille mon cœur que nous ignorons. BarrèsSous l'œil des Barbares,1888, p. 97.
− Emploi abs. Brûler de désir; être ravagé par le désir; assouvir son, ses désirs; le feu, la frénésie, le tourment du désir; péché de désir. À ce souvenir seul, loin de toi, sur ma couche, Je me tords dans l'angoisse infame du désir (VerlainePrem. vers,1858-66, p. 19).Le désir transforme l'être qui nous approche en un monstre qui ne lui ressemble pas (MauriacTh. Desqueyroux,1927, p. 196):
6. Sans doute, il [Flaubert] avait ses coups de désir; c'était un gaillard solide dans sa jeunesse et qui tirait des bordées de matelot. ZolaLes Romanciers naturalistes,1881, p. 151.
♦ Rare. [En parlant d'un animal] Cerf qui de désir brame (MoréasCantilènes,1884, p. 103).
C.− P. méton. Objet du désir. C'est (tel est) mon seul désir. Je touchais du doigt un de mes désirs les plus ardemment caressés (GautierTra los Montes,1843, p. 145).C'était le temps où être du monde faisait mon seul orgueil et où rester du monde était mon seul désir (LarbaudBarnabooth,1913, p. 143).
PARAD. (Quasi-)synon. contextuels. Aspiration, attrait, besoin, caprice, convoitise, concupiscence, envie, espérance, espoir, inclination, penchant, volonté.
Prononc. et Orth. : [dezi:ʀ]. Ds Ac. dep. 1694. La forme anc. desir, avec [ə], en dernier lieu ds DG. Homon. le rad. nu de désirer.  Étymol. et Hist. Ca 1170 « aspiration à, souhait » (B. de Ste-MaureDucs Normandie, éd. C. Fahlin, 10249). Déverbal de désirer*.  Fréq. abs. littér. : 14 829. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 18 483, b) 14 281; xxes. : a) 25 275, b) 24 441.  Bbg. Cohen 1946, p. 50.

Dictionnaire de l'Académie française (9e édition)

DÉSIR n. m. xiie siècle. Déverbal de désirer.
Le fait de désirer. 1. Vive aspiration à la possession d'un objet, d'un bien, d'un avantage. Le désir du gain, des richesses, des honneurs. Le désir du savoir, du bien. Le désir de l'absolu, de Dieu. Désir vif, ardent, violent. Modérer, borner, contenter, satisfaire, assouvir ses désirs. Un désir insatiable, inavouable, criminel. Éprouver un désir irrésistible. Plaire, réussir est son seul désir. C'est sa seule joie, son seul désir. Il brûlait de désir. Spécialt. Le désir sexuel ou, ellipt., le désir. 2. Par affaibl. Souhait, vœu. Le désir de plaire, de paraître. Prévenir les désirs de quelqu'un. Tous vos désirs seront comblés. Il sera fait selon vos désirs. Il ressentait un vif désir de solitude. Expr. Vos désirs sont des ordres. Prendre ses désirs pour des réalités.
DÉSIRABLE adj. xiie siècle. Dérivé de désirer.Qui mérite d'être désiré. Les biens désirables. Je ne vois en tout cela rien de très désirable. Votre présence est désirable. Par affaibl. Souhaitable. Le médecin a pris toutes les précautions désirables.  Spécialt. Qui suscite le désir. Une femme désirable.
DÉSIRER v. tr. xie siècle. Du latin desiderare, « regretter l'absence de quelqu'un, de quelque chose », « désirer, aspirer à », au sens propre, « cesser de voir ».1. Aspirer, tendre à posséder un bien, un avantage. Désirer la santé, le bonheur. Ne désirer que la gloire. Il désire réussir. Elle désire se marier. Quel cadeau désirez-vous ? Désirer vivement, ardemment. N'avoir plus rien à désirer, être comblé et, par ext., être revenu de tout. Absolt. Passer sa vie à désirer.  Spécialt. Il ne peut pas voir une jolie femme sans la désirer. 2. Par affaibl. Souhaiter. Je désirais vous parler. Il désire partir avant la nuit. Je désire que vous suiviez de près cette affaire. 3. Expr. Laisser à désirer, être insuffisant. Votre exposé n'est pas au point, il laisse beaucoup à désirer. Son travail n'est pas mauvais, mais laisse encore à désirer. Son éducation, ses manières laissent à désirer. Ne rien laisser à désirer, être parfait. Fam. Se faire désirer, se faire attendre, arriver en retard ; montrer peu d'empressement à répondre à l'invitation ou à l'attente d'autrui. Il a l'art de se faire désirer.
DÉSIREUX, -EUSE adj. xie siècle, desirruse ; xve siècle, désireux. Dérivé de désirer ou emprunté du bas latin desiderosus, « désireux ».Qui désire. Il est désireux de gloire. Se construit surtout avec un infinitif. Désireux de plaire. Il était trop désireux de conclure pour ne pas consentir à tout.

jeudi 19 mars 2020

LANGUEUR, subst. fém.

A. − Affaiblissement physique ou moral qui réduit considérablement les forces et l'activité d'une personne.
1. Vx ou littér. [La cause est de nature physique (maladie, blessure)] Entrer, être, tomber, tourner en langueur; se consumer de langueur. Je suis malade, messieurs, je me meurs de langueur, et vous m'excuserez si je ne puis me lever (StendhalChartreuse,1839, p. 339).Une langueur qu'on craignait de voir dégénérer en consomption lente (Lamart.Raphaël,1849, p. 139):
1. Les enfants paraissaient atteints d'une maladie de langueur, ne mangeaient plus, accusaient des douleurs de ventre, traînaient quelque temps, puis expiraient au milieu d'abominables souffrances. Maupass.Contes et nouv., t. 2, Moiron, 1887, p. 1145.
Rem. Ac. souligne que dans ce sens le mot est souvent employé au plur. : Il ne sent point les langueurs de l'âge.
− P. anal. État d'une plante qui végète, s'étiole, dépérit. La langueur ou l'activité de la végétation semblait dépendre d'influences célestes (VolneyRuines,1791, p. 225).
2. [La cause est de nature morale]
a) Asthénie, affaiblissement de l'énergie morale et physique causée par une fatigue nerveuse, par une souffrance morale. La mort de sa femme l'a jeté dans un état de langueur dont il a peine à sortir (Ac.).La langueur, ou l'impuissance absolue de l'esprit (CabanisRapp. phys et mor., t. 1, 1808, p. 453).Oui, mon Père, je mourrai de colère et de langueur si je ne le retrouve pas (ArnouxRêv. policier amat.,1945, p. 77):
2. Vous voilà condamné à la vie maintenant, cher ami, à une vie de langueur, d'empêchement et de souffrance, où votre âme stoïque s'épanouit quand même... SandCorresp.,1867, p. 163.
b) État d'âme mélancolique et rêveur qui rend nonchalant, sans énergie. Elles [les jeunes filleslisent Loti et Fromentin, qui les laissent pleines de langueurs (ChardonneDest. sent., I, 1934, p. 67).Comme elle s'approchait de la fenêtre, une étrange langueur l'avait saisie à la vue de la campagne toute teintée d'une buée verte (LacretelleHts ponts, t. 3, 1935, p. 125):
3. Les sanglots longs Des violons De l'automne Blessent mon cœur D'une langueur Monotone. VerlainePoèmes saturn.,1866, p. 72.
− En partic. État d'âme dû aux tourments d'une passion amoureuse qui s'exprime par une mollesse de l'attitude ou des regards. La suavité et la gracieuse langueur des femmes de l'Asie, beauté bien plus féminine, bien plus amoureuse, bien plus fascinante pour le cœur que la beauté sévère et mâle des statues grecques (Lamart.Destinées poésie,1834, p. 393).La vivacité nerveuse de Juliette, qu'elle noyait d'une langueur étudiée (ZolaPage amour,1878, p. 882):
4. Yves se faisait de cet amour des représentations simples et précises; il imaginait des regards de langueur, des baisers furtifs, des mains longuement pressées, toute une romance qu'il méprisait. MauriacMyst. Frontenac,1933, p. 67.
B. − P. anal.
1. Caractère d'une chose (paysage, climat) dont la monotonie, la moiteur engendrent cet état d'âme. Après les langueurs extrêmes de cet interminable été, le ciel s'est levé couvert et tout bouleversé (RivièreCorresp. [avec Alain-Fournier], 1906, p. 287).La mortelle langueur de l'après-dînée (ClaudelFeuilles Saints,1925, p. 625):
5. Je fuyais tes regards, je cherchais ma raison. Mais la langueur des champs, leur tristesse attrayante, À ma langueur secrète ajoutaient leur poison. Desb.-Valm.Élégies,1833, p. 70.
2. Affaiblissement de l'énergie, ralentissement de l'activité de quelque chose.
a) Ralentissement de l'activité, du développement (d'une entreprise, d'une société). M. Géraud dit qu'après cinq ans de langueur, cette année est excellente pour les manufacturiers (MicheletJournal,1842, p. 475).
b) Manque d'intérêt, de mouvement, de chaleur (d'une œuvre artistique ou littéraire). Langueur d'un discours, d'une conversation. [Davidfut frappé (...) de la langueur, de la faiblesse de ces honteuses productions de son temps (DelacroixJournal,1860, p. 270):
6. Je sens fort bien que ces développements doivent jeter de la langueur dans la troisième partie de l'Essai, mais que faire à cela? Lamennais ds MmeV. HugoHugo,1863, p. 6.
REM. 1.
Languison, subst. fém.,région., synon.Aux maladies s'ajoutaient l'ennui, la languison. Les plus vaillants n'avaient même pas le courage de travailler (A. DaudetPort-Tarascon,1890, p. 128).
2.
Languissement, subst. masc.,région. Action, fait de languir; langueur. Frédéry avait trop de languissement à son Hospitalière et à son petit Frédy (FabreChevrier,1867, p. 321).
3.
Languition, subst. fém.,région. Synon. de languison (supra rem. 1).J'avais une languition sotte qui me faisait regarder toutes les filles sans oser leur dire un mot (SandMaîtres sonneurs,1853, p. 17).
Prononc. et Orth. : [lɑ ̃goe:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694.  Étymol. et Hist. 1. Prob. av. 1130 (v. éd. pp. 200 et 261) [ms. fin xiie-début xiiies.] « maladie, état de faiblesse » ([Philippe de Thaon], Lapidaire alphabétique ds Lapidaires anglo-norm. éd. P. Studer et J. Evans, V, 989, p. 236); 2. a) ca 1180 « état d'abattement, de mélancolie dû à la passion amoureuse » (ThomasTristan, 2484, 3037 ds T.-L.); cf. 1269-78 (Jean de MeunRose, éd. F. Lecoy, 4275 : Amors c'est langueur toute santeïve, C'est santé toute maladive) et 1525 (C. MarotÉlégie IV, 49, ds Œuvres lyriques, éd. C. A. Mayer, p. 224 : Oubly, Jalousie et langueur Suyvent Amours); b)  1670 « caractère de ce qui est empreint de ce sentiment » langueur [des yeux] (RacineBérénice, IV, 4); 3. a) 1564 « chagrin, malheur » (Indice de la Bible ds FEW t. 5, p. 163 a); b)  1765-70 « mélancolie, vague tristesse » (RousseauConfessions, VI, ds Œuvres éd. B. Gagnebin et M. Raymond, t. 1, p. 243); 4. a)  1580 « nonchalance, indolence, paresse » (MontaigneEssais, I, XXVI, éd. A. Thibaudet, et M. Rat, p. 175); b)  fin xviie-1remoitié xviiies. « manque de force, de chaleur (d'une production de l'esprit) » (FontenelleDu Verney ds Littré); c)  1780 [éd.] « stagnation (d'une activité écon.) » (RaynalHist. phil., VII, 14, ibid.).  Du lat. languor « faiblesse, abattement, lassitude; maladie; inactivité, mollesse, tiédeur ».  Fréq. abs. littér. : 1 109.  Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 152, b) 2 246; xxes. : a) 1 371, b) 850.

vendredi 13 mars 2020

AMER, ÈRE, adj.

I.− Emploi adj.
A.− Âpre et souvent désagréable au goût, comme la saveur que procurent le quinquina, la gentiane ou le fiel de certains animaux. Anton. sucré, doux :
1. Charles, ayant goûté son café, le trouva trop amer, et chercha le sucre que Grandet avait déjà serré. H. de BalzacEugénie Grandet,1834, p. 105.
Rem. Syntagmes rencontrés amer comme chicotin, − comme l'aloès; breuvage, citron, pamplemousse, goût amer; bière, bile, liqueur, saveur amère.
− Loc. Avoir la bouche amère (cf. amertumede la bouche) :
2. Sur le Damrak, le premier tramway fait tinter son timbre dans l'air humide et sonne l'éveil de la vie à l'extrémité de cette Europe où, au même moment, des centaines de millions d'hommes, mes sujets, se tirent péniblement du lit, la bouche amère, pour aller vers un travail sans joie. A. CamusLa Chute,1956, p. 1547.
− Poét. L'onde amère, le flot amer. La mer :
3. Pendant que le vaisseau courant à pleines voiles Faisait glisser nos mâts d'étoiles en étoiles, Et qu'à l'ombre des caps du Liban sur la mer L'harmonieuse proue enflait le flot amerA. de LamartineLa Chute d'un ange,Récit, 1838, p. 805.
− P. anal. [En parlant d'une odeur, d'un son] :
4. Tout était dans un calme et un silence profond, interrompu seulement de temps à autre par quelques cris des oiseaux qui se disputaient leurs nids, ou par un léger souffle de vent qui faisait doucement frémir les feuilles des tilleuls et secouait sur le gazon l'odeur suave des chèvrefeuilles et d'une aubépine au parfum amerA. KarrSous les tilleuls,1832, p. 31.
5. ... les gammes par lesquelles Bach décrit la marche des apôtres cheminent parmi des harmonies amères... A. PirroJean-Sébastien Bach,1919, p. 112.
− Par métaph. poét. ou mystique
♦ Verser des larmes amères.
♦ Le pain amer. Les chagrins, la douleur :
6. Ou chez le riche altier apportant ses douleurs, Il mange un pain amer tout trempé de ses pleurs. A. ChénierBucoliques,Le Mendiant, 1794, p. 211.
♦ Le calice amer. Les souffrances.
B.− Au fig.
1. [En parlant d'une pers., de ses sentiments, de ses attitudes, etc.] Qui manifeste de l'amertume. Amers regrets, douleur amère :
7. Je veux espérer que le temps adoucira ce que votre douleur peut avoir encore de trop âpre et de trop amer...F.-R. de LamennaisLettres inédites... à la baronne Cottu,1834, p. 268.
8. Il se refit presque, grâce au souci de la pâtée quotidienne une âme de coureur des bois se contentant, jouissance douloureuse, amère volupté, d'écouter au loin comme le chant de fête d'un paradis perdu, la vie de ceux de sa race que des chasses nocturnes lui rappelaient souventes fois. L. PergaudDe Goupil à Margot,1910, p. 58.
Rem. Syntagmes rencontrés plaisir, rire, sentiment, sourire, souvenir amer; joie, pensée, plainte, réflexion, tristesse, vie amère.
2. [En parlant du langage, du comportement d'une pers.] Qui blesse ou offense (par rancœur, par ressentiment). Une parole, une ironie amère :
9. La conversation a toujours eu un cours ironique et amer qui ne la rendait agréable qu'à Benjamin Constant; il paraît que c'est son élément. É.-J. DelécluzeJournal,1828, p. 255.
10. Julien était navré du ton amer et presque méchant qu'il remarquait chez M. Pirard; ce ton gâtait tout à fait sa dernière réponse. StendhalLe Rouge et le Noir,1830, p. 234.
Rem. Syntagmes rencontrés mot, propos, reproche amercritique, dérision, plaisanterie, raillerie, satire amère.
II.− Emploi substantivé
A.− Au sing. (par substantivation de l'adj. neutre). Qualité de ce qui est amer. Synon. amertume :
11. Les saveurs primitives alimentaires, ainsi que les odeurs, s'y retrouvent toutes pures, afin que l'homme en puisse faire à son gré de nouvelles combinaisons : tels sont l'acide du citron, le sucre de la canne à sucre, l'amer du café, l'onctueux du cacao. J.-H. Bernardin de Saint-PierreHarmonies de la nature,1814, p. 98.
12. Je me souviens que j'insistai d'abord sur les qualités des objets plutôt que sur la variété de ceux-ci : le chaud, le froid, le tiède, le doux, l'amerle rude, le souple, le léger... A. GideLa Symphonie pastorale,1919, p. 890.
B.− Au sing. et au plur.
1. [Pour désigner une pers. déjà mentionnée] :
13. Alors les prisonniers s'abandonnèrent à leur génie, et il y eut les amers, qui récriminaient à longueur de jour et s'injuriaient entre eux... F. AmbrièreLes Grandes vacances,1946, p. 40.
2. Spéc., surtout au plur. [Pour désigner des liquides]
a) Souvent au plur. Décoction obtenue par infusion de plantes amères et utilisée comme médicament ou comme tonique dans les boissons apéritives. L'amer de Hollande (le bitter); en pharm., l'amer de Welter (l'acide picrique) :
14. Selon Foussagrives, les produits ou liqueurs préparés avec les plantes amères peuvent être divisés en cinq classes : 1oamers purgatifs, à base de rhubarbe, d'aloès, etc.; 2oamers nauséeux, ayant pour base la camomille; 3oamers astringents, qui, avec le principe amer du tanin, renferment du quinquina, du chardon bénit, de l'écorce de marronier, etc.; 4oamers stimulants (apéritifs) qui sont à base d'absinthe, d'écorces d'oranges amères, de gentiane, de germandrée, de houblon, etc.; 5oamers convulsants ou toxiques dans lesquels entrent de la noix vomique ou d'autres produits qui sont du ressort de la médecine et non de la distillerie. Mont.1967.
b) Nom vulgaire du fiel de certains poissons ou animaux. L'amer de bœuf, de veau, de carpe, etc.
Prononc. : [amε:ʀ].
Étymol. ET HIST. − 1. Ca 1150 « (en parlant d'un inanimé) qui produit une impression pénible » emploi fig. (Chrétien de TroyesGuill. d'Angleterre, éd. Förster, 2977 ds T.-L. : Mout pesanz est guerre et amere, quant li fiz guerroie la mere); 2. 1174 « qui a une saveur rebutante » (BenoitChr. des Ducs de Normandie, éd. Carin Fahlin, 17562 : Si amer morsel e si aigre Li quit enquor faire tresir Dum tart sera au repentir). Du lat. amarus, attesté au sens propre dep. Ennius, Ann. 263 ds TLL s.v., 1820, 35 : amaro corpore buxum; au sens fig. dep. Rhét. Her., 4, 15, 21, ibid. 1822, 15 : habet adsentatio jucunda principia, eadem exitus amarissimos adfert.


LITTRÉ

amer, ère

(a-mèr, mê-r') adj.
  • 1Qui a une certaine saveur désagréable, comme l'absinthe ou le quinquina. Avoir la bouche amère, sentir dans la bouche un goût d'amertume.
    En poésie, l'onde amère, l'eau de la mer. Les chevaux du soleil sortant de l'onde amèreFénelonTél. IV.
  • 2 Fig. Triste, pénible. Une douleur amère. Sa perte, que je veux, me deviendrait amèreCorneilleCinna, I, 2.Cependant mon destin est à ce point amerCorneilleAgésil. V, 5.Ce sont des répugnances qui ne sont amères qu'aux sensMassillonCar. Dégoûts.La piété et la vie chrétienne sont trop amères à la nature pour être jamais le parti du plus grand nombreMassillonCar. Élus.Les dégoûts de la vertu ne sont pas si amers que ceux du mondeMassillonDégoûts.Pour épargner les moments les plus amers d'une sainte tristesseMassillonMélanges.Ils menèrent une vie pauvre, dure, amèreMassillonConfér. Revenus.Ce bonheur amer que la crainte empoisonneDelavigneParia, I, 2.Mes premières paroles furent amères à mon père…MontesquieuLett. pers. 67.
    En style marotique et en parlant d'une maîtresse, cruelle. Depuis le jour qu'amour trouva Celle qui me fut tant amèreChaulieut. I, 210.
    Larmes amères, celles qu'une profonde douleur fait répandre. Je versais des larmes amèresFénelonTél. IV.Malgré les pleurs amers dont j'arrose ces lieuxCréb. Électre, I, 6.
  • 3Dur, offensant. Une raillerie amère. Un reproche amer. Le zèle des saints Pères était encore bien plus amerSévigné344.
    Familièrement, il est d'une bêtise amère il est extrêmement sot.
  • 4 S. m. Ce qui est amer. L'amer et le doux sont deux qualités contraires.
  • 5Fiel de quelques poissons. L'amer d'une carpe. L'amer d'un brochet. On le dit aussi en parlant du bœuf : l'amer du bœuf.
  • 6 S. m. plur. Les amers. Terme de médecine. Groupe de médicaments remarquables par leur amertume plus ou moins prononcée.

PROVERBES

Qui est amer à la bouche est doux au cœur ; c'est-à-dire des choses désagréables peuvent être salutaires.
On ne peut mâcher amer et cracher doux ; c'est-à-dire les mauvais traitements aigrissent le caractère.

HISTORIQUE

XIIe s. Puis il fu en Egipte asez plus qu'emperere, E guardi ses parenz de la famine amereTh. le Mart. 65.
XIIIe s. Li nature a une vesie qui se tient à une des brances du foie, qui est apelée l'amerAlebrandf° 39.Ne soiez vers les pauvres ne sure ne amereBerte, IV.Lasse ! com j'ai trouvé gent mauvaise et amereib. XVIII.Car la nuit qu'ai passée, [j'] ai trouvé mout amereib. XLIV.Se vers moi [vous] eüssiez eü pensée amere Si comme avoit Tybersib. CXI.Ysengrin a fet sor Renart Fol jugement et fol esgart ; Trop est d'aus deus la guerre amereRen. 18031.Certes, Honte, ja n'amerai Ne vous, ne Raison votre mere, Qui tant est as amans amerela Rose, 20982.Amant sentent les maulx d'amer [aimer], Une hore dous, autre hore amerib. 2193.Comment le maulvais empereur Neron, par sa grande fureur, Fist devant luy ouvrir sa mere, Et la livrer à mort amere, Parceque veoir il vouloit Le lieu où conceü l'avoitib. 6198.
XIVe s. Et les choses qui sont douces selon verité leur semblent aucune foiz ameresOresmeEth. 70.
XVe s. Vrais Diex, en qui n'a point d'amer, Vueilles nous secourir, sy te plaist ; Perdu avons, dont nous desplait, L'estoille qui nous conduisoitle Jeu des trois rois.
XVIe s. À vous elle est trop plus douce que miel, Aux desloyaux plus amere que fielMarotI, 287.Le sens est une puissance naturelle de discerner et cognoistre autant le blanc comme le noir, et non plus le doulx que l'amer, ou le mol et enfondrant comme le dur et le fermeAmyotDémétr. 1.

ÉTYMOLOGIE

Berry, amar ; provenç. amar ; espagn. amargo ; ital. amaro ; d'amarus.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

AMER. Ajoutez :
7Synonyme de bitter, liqueur. Je n'étais pas ivre ; j'avais seulement bu deux verres d'amerGaz. des Trib. 28 mars 1875, p. 302, 2e col.