A.− BOT., GASTR. Plante potagère de la famille des liliacées, dont les jeunes pousses ou turions sont comestibles et très appréciées par les gastronomes :
1. Il y a à gauche de vastes terrains, recouvrant l'emplacement d'une carrière (de Montmartre) éboulée, que la commune a concédés à des hommes industrieux... Ils ont... créé des champs... où l'asperge montée étale en cette saison ses panaches verts décorés de perles rouges. Nerval, Bohême galante,1853, p. 187.
2. Les cloches des melons brillaient à la file sur leur couche étroite; les artichauts, les haricots, les épinards, les carottes et les tomates alternaient jusqu'à un plant d'asperges, qui semblait un petit bois de plumes. Flaubert, L'Éducation sentimentale,t. 2,1869, p. 62.
3. ... quand il avait des poireaux, il criait : bottes d'asperges! parce que les poireaux sont les asperges du pauvre. A. France, Crainquebille, Putois, Riquet,t. 14,1904, p. 13.
4. Disons tout d'abord que les asperges ne doivent pas être seulement ratissées, ainsi que trop de gens se contentent de le faire, mais bien pelées à fond, ce qui permet de les consommer dans leur presque totalité. Les Gdes heures de la cuis. fr., P. Montagné,1948, p. 191.
SYNT. Carré, pointe d'asperge(s); asperge qui monte, montée (en graine); asperge comestible.
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Spéc., PHARM. Plante (asperge officinale) dont les racines apéritives et les jeunes pousses diurétiques sont utilisées pour la fabrication des médicaments.Rem. On rencontre ds la plupart des dict. gén. du xixeet du xxes. le terme aspergerie ou aspergière ou aspergeraie,subst. fém. (cf. notamment Lar. 19e, Nouv. Lar. ill., s.v. aspergerie, Lar. encyclop. et Quillet 1965; suff. -erie*, -ière*, -e(r)aie*). Terrain planté d'asperges.
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P. anal.1. [Avec la couleur de la plante]a) [Constr. en appos.] Vert asperge. Vert pâle. Ameublement en laque vert asperge (Lorrain, Monsieur de Phocas,1901, p. 95).
b) Substantif :5. Il [l'alexandrite] appartient au système orthorhombique, mais se présente souvent sous forme d'une étoile hexagonale due à la formation de mâcles. Son clivage est pinacoïdal (basal); sa nuance varie du vert asperge au vert profond, il est plus rarement bleu ou brun; ... A. et N. Metta, Les Pierres Précieuses,1960, p. 82.
2. [Avec sa forme longue et mince]a) Pop. Personne, notamment adolescent ou (plus souvent) adolescente ayant grandi trop vite et pour cette raison trop longue et trop maigre. C'est une asperge (montée) (Besch. 1845, Lar. 19e-Lar. Lang. fr.) :6. Jamais les adolescents n'ont poussé si vite et si haut, sans déséquilibre, sans tourner à l'asperge en observant les proportions de l'élancement; ... A. Arnoux, Les Crimes innocents,1952, p. 193.
Rem. Les ex. suivants permettent de jalonner l'emploi métaph. du subst. dans la lang. littér. :
7. Elle [Nana] allait sur ses treize ans, grande déjà comme une asperge montée, avec un air d'effronterie; ... Zola, L'Assommoir,1877, p. 678.
8. ... il y a chez elle [la fiancée] du vieil oiseau et de l'asperge montée en graine. E. et J. de Goncourt, Journal,1890, p. 1235.
b) Arg. milit. Mollets du soldat. Mettre ses asperges en bottes. Rouler ses bandes molletières (A. Dauzat, L'Arg. de la guerre, 1918).
c) Arg. Sexe de l'homme (
cf. Le Breton 1960 et
Éd. 1967).
♦ [En parlant d'une femme] Aller aux asperges. Chercher fortune sur le trottoir (Le Breton 1960).
B.− Emplois techn.1. B.-A. ,,Rudenture terminée par un bourgeon entrouvert (motif fréquent dans le style Louis XVI)`` (Lar. encyclop.).
2. TECHNOL. ,,Brin de baleine, d'un tiers d'aune de longueur au plus`` (Ac. compl. 1842).Rem. Sens attesté ds Lar. 19e, Nouv. Lar. ill., Littré et DG.
PRONONC. : [aspε ʀ ʒ].
ÉTYMOL. ET HIST. − 1256 esparge (Aldebrand de Sienne, L. Landouzy et R. Pépin − ds Quem. : esparge); 1387 esperge(G. Phébus, La Chasse, 149, Lavallée, cité par Delboulle ds R. Hist. litt. Fr., t. 2, p. 262 : Lors doit aler en queste aux fouges pour les racines qu'ilz mengent et de l'esperge); 1548 asperge (Rabelais, Quart liv., ch. VII ds Gdf. Compl. : Vous en voirez naistre les meilleurs asperges du monde). Du lat. asparagus « asperge » attesté dep. Lucilius, 847 ds TLL s.v., 799, 36.
STAT. − Fréq. abs. littér. : 145.
BBG. − Ac. Gastr. 1962. − Alex. 1768. − Bouillet 1859. − Brard 1838. − Criqui 1967 →. − Dumas 1965 [1873]. − Duval1959. − Éd. 1967. − France 1907. − Lar. méd. 1970. − Lar. mén. 1926. − Lasnet 1970. − Le Breton 1960. − Littré-Robin 1865. − Méd. Biol. t. 1 1970. − Mont. 1967. − Nysten 1824. − Pope 1961 [1952], § 497, 498. − Privat-Foc. 1870. − Wexler (P. J.). Pour l'ét. du vocab. des vaudevilles. In : [Mél. Cohen (M.)]. The Hague-Paris, 1970, p. 210.
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A.− Emploi trans. Arroser légèrement en projetant un liquide en forme de pluie.1. Dans le domaine
relig.a) [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Aspergeant le peuple du sang de la victime (Ac.1798-1878, Guérin 1892):1. ... tous les moines, à la suite, défilèrent devant le père Maximin, debout sur les marches, tournant le dos à l'autel, et il les aspergea d'eau bénite, alors que, baissant la tête, ils regagnaient, en se signant, leurs stalles.Huysmans, En route,t. 2,1895, p. 217.
b) [Le compl. d'obj. désigne une chose concr., un corps, etc.] :
2. Le prêtre dit Pater Noster. Il encense et il asperge le corps pour l'embaumer pour l'éternité : cette absoute est le dernier adieu. Barrès, Mes cahiers,t. 7,1908, p. 113.
Rem. Ces aspersions rituelles se font gén. à l'aide d'un rameau ou d'un goupillon.
2. Dans le domaine
courant.a) [Le compl. d'obj. désigne une pers.] :
3. ... − il se plaqua contre la roche, le nez dans les moules, les bras en croix, la jambe droite sur des goémons. Le rouleau déferla et le couvrit d'écume. Il se garda de lever le nez. La mer montait − elle ne se contenterait pas toujours de l'asperger d'écume, il viendrait un moment qu'elle se renverserait sur lui... Queffélec, Un Recteur de l'île de Sein,1944, p. 133.
b) [Le compl. d'obj. désigne une chose concr.] Asperger du linge avant de le repasser (Lar. 19e, Nouv. Lar. ill.) :4. ... après avoir bien pesé, bien mûri, bien retardé ma décision, je bondissais d'un coup, les dents serrées, jusqu'à la cheminée où je faisais crouler une pile de bois que j'aspergeais d'essence. Saint-Exupéry, Pilote de guerre,1942, p. 301.
Rem. Pour désigner la matière de l'aspersion, asperger se construit le plus souvent avec la prép. de : asperger d'eau (bénite), d'essence. On trouve, plus rarement, asperger avec notamment, lorsque le compl. circ. a une certaine longueur : ,,on nous a aspergés avec de l'eau de fleurs d'oranger`` (cf. Flaubert, Correspondance, 1850, p. 246).
3. P. métaph. :5. ... la nature avait combiné en Despréaux les traits de l'un et l'autre [frères], mais avec finesse, avec distinction, et avait aspergé le tout d'un sel digne d'Horace. Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 3,1863-69, p. 20.
6. La jeunesse ouvrière abandonne l'artisanat pour l'usine, et, chez les artistes, la jeunesse se fatigue de la route nationale. Elle se décourage, dépassée par les grosses voitures qui l'aspergent de lumière et de boue. Cocteau, Poésie critique2, Monologues,1960, p. 178.
Rem. Ces ex. sont intéressants parce qu'ils montrent à l'œuvre le mécanisme de la métaph. substituant une dénomination inattendue (asperger) à la dénomination attendue (éclabousser, inonder, dans l'ex. 6, saupoudrer dans l'ex. 5), sur la base de sèmes communs dont l'identification est abandonnée à la sagacité du destinataire du message.
B.− Emploi pronom.1. Emploi réfl. dir. S'asperger d'eau chaude.
2. Emploi réfl. indir.a) [Avec un compl. d'obj. dir. indiquant le corps ou une partie du corps] :
7. ... il chercha le seau d'eau froide, y plongea les avant-bras et s'aspergea le visage. Aymé, La Jument verte,1933, p. 43.
b) [Avec un compl. d'obj. dir. indiquant la matière de l'aspersion, et un compl. circ., prép. sur, indiquant la partie du corps aspergée] :
8. Les Indiens Chané du nord de l'Argentine sont aussi fort propres, mangeant dans des bols séparés, se rinçant la bouche après le repas et s'aspergeant de l'eau sur les doigts. R.-H. Lowie, Manuel d'anthropol. culturelle,1936, p. 83.
−
P. métaph. :9. Il n'existe pas une revue d'art où l'on n'aborde à chaque page les problèmes dont la presse nous entretient. Et cela s'accompagne d'un curieux quadrille. Les adversaires se saluent, échangent des clins d'œil, s'aspergent d'un vinaigre de politesses. Les insultes et les grâces alternent, ... Cocteau, Poésie critique2, Monologues,1960, p. 14.
Rem. On rencontre dans la docum. le néol. aspergeur, subst. masc. (A. Arnoux, Paris-sur-Seine, 1939, p. 133, suff. -eur2*). Aspergeur d'encre. Iron. Celui qui asperge (cf. le néol. concurrent asperseur recensé par Lar. 19e-Lar. 20e).
PRONONC. ET ORTH. : [aspε ʀ ʒe], j'asperge [ʒaspε ʀ ʒ]. Enq. : /aspeʀ ʒ/ (il) asperge. Cf. abroger.
ÉTYMOL. ET HIST. I.− Cont. relig. a) xiies. liturg. asperger de « mouiller d'un liquide projeté par gouttes » (Mainet, éd. G. Paris, IV, 99 ds T.-L. : Tierce fois le [la rivière où devaient être baptisés les païens] saigna li clers de sa main destre, Puis i jeta de l'oile, du saint cresme l'esperge); b) 1488 « répandre avec l'aspersoir » (A.N. LL 728, fo38 rods Gdf. Compl. : Asperger l'eaue beneiste). II.− Cont. profane a) 1551 « jeter en gouttes, répandre » (Cotereau, trad. de Columelle, V, 6 ds Hug. : Il vauldra mieulx y espandre et asperger de l'eau tout doulcement); b) 1606 « jeter, répandre en menus grains » (Trad. de Folengo, Merlin Coccaie, L. I [I, 22], ibid. : Un autre sur les fricassées asperge du gyngembre et du poivre). Empr. au lat. aspergere, au sens de « saupoudrer (qqn de qqc.) » (Plaute, Epid., 554 ds TLL s.v., 819, 43 : Guttula pectus ardens mi aspersisti); au sens de « répandre (un liquide) » (Plaute, Bacch., 247, ibid.,818, 60 : aspersisti aquam [ici, par image]); emploi relig. ann. 1077, Berth., Annal., p. 293, 15 ds Mittellat. W. s.v.,1038, 10 : in sabbatho sancto paschae ante infusum chrisma in aqua baptismi omnes circumstantes ex ipsa aspergere.
STAT. − Fréq. abs. littér. : 93.
BBG. − Noter-Léc. 1912. − Timm. 1892.
Les mots asperge et asperger sont si étonnamment proches par la forme qu’on leur suppose naturellement une proximité sémantique, pourtant bien peu évidente en apparence. L’asperge vaut qu’on s’y arrête, tant pour la chose qu’elle désigne, que pour son nom. Parce qu’elle contient du zinc et de la vitamine E, cette plante potagère de la famille des Liliacées est couramment rangée au nombre des aliments aphrodisiaques, et l’histoire du mot semble vouloir valider cette assertion. Qu’on en juge : asperge, qui s’est d’abord rencontré sous la forme esparge, est issu du latin asparagus. Celui-ci est emprunté du grec asparagos, altération, par perte de l’aspiration de la lettre phi, de aspharagos. Il faut pousser plus loin notre enquête et, pour poursuivre notre recherche, nous allons maintenant cheminer avec comme guide le Dictionnaire étymologique de la langue grecque, de Pierre Chantraine. On nous signale, à l’article aspharagos, le rapprochement étymologique suivant : « On pense à spharageomai, « se gonfler, éclater ». Si l’on se reporte à ce verbe, on apprend que « le radical se retrouve… dans le grec spargaô », ce dernier verbe signifiant « se gonfler, être prêt à jaillir », mais aussi « être gonflé de désir, de passion », voire « d’orgueil ». Il y est aussi écrit qu’« il n’est peut-être pas impossible d’évoquer le latin spargo, « répandre, faire jaillir ». Ce verbe, dont l’infinitif est spargere, a un dérivé, aspergere, déjà attesté chez Plaute avec les sens de « saupoudrer » et de « répandre un liquide ». Ainsi donc, même s’ils n’appartiennent pas au même champ lexical, nos mots asperge et asperger se trouvent bien être parents.
Mais Pierre Chantraine ajoute aussi que spargaô est « proche de orgaô, qui est de sens plus général ». Ce verbe ne fait pas l’objet d’une entrée, mais on le retrouve à l’article orgê, « passion, colère », dont il est tiré. Orgaô signifie « être plein de suc ou de sève », mais aussi « être plein de désir », particulièrement « être plein de désir amoureux », et a un dérivé tardif, orgasmos, « orgasme ».
Ainsi, linguistiquement parlant s’entend, notre asperge nous a conduit à l’orgasme. Les tours et détours de la langue sembleraient donc bien confirmer ce que nous enseignent nos amis botanistes : l’asperge est un aphrodisiaque.
Rappelons d’ailleurs, pour conclure, que, dans ses ouvrages sur l’argot, Auguste Le Breton signale que le nom asperge désigne le sexe masculin et que l’expression aller aux asperges signifie « chercher fortune sur le trottoir ».Les mots asperge et asperger sont si étonnamment proches par la forme qu’on leur suppose naturellement une proximité sémantique, pourtant bien peu évidente en apparence. L’asperge vaut qu’on s’y arrête, tant pour la chose qu’elle désigne, que pour son nom. Parce qu’elle contient du zinc et de la vitamine E, cette plante potagère de la famille des Liliacées est couramment rangée au nombre des aliments aphrodisiaques, et l’histoire du mot semble vouloir valider cette assertion. Qu’on en juge : asperge, qui s’est d’abord rencontré sous la forme esparge, est issu du latin asparagus. Celui-ci est emprunté du grec asparagos, altération, par perte de l’aspiration de la lettre phi, de aspharagos. Il faut pousser plus loin notre enquête et, pour poursuivre notre recherche, nous allons maintenant cheminer avec comme guide le Dictionnaire étymologique de la langue grecque, de Pierre Chantraine. On nous signale, à l’article aspharagos, le rapprochement étymologique suivant : « On pense à spharageomai, « se gonfler, éclater ». Si l’on se reporte à ce verbe, on apprend que « le radical se retrouve… dans le grec spargaô », ce dernier verbe signifiant « se gonfler, être prêt à jaillir », mais aussi « être gonflé de désir, de passion », voire « d’orgueil ». Il y est aussi écrit qu’« il n’est peut-être pas impossible d’évoquer le latin spargo, « répandre, faire jaillir ». Ce verbe, dont l’infinitif est spargere, a un dérivé, aspergere, déjà attesté chez Plaute avec les sens de « saupoudrer » et de « répandre un liquide ». Ainsi donc, même s’ils n’appartiennent pas au même champ lexical, nos mots asperge et asperger se trouvent bien être parents.
Mais Pierre Chantraine ajoute aussi que spargaô est « proche de orgaô, qui est de sens plus général ». Ce verbe ne fait pas l’objet d’une entrée, mais on le retrouve à l’article orgê, « passion, colère », dont il est tiré. Orgaô signifie « être plein de suc ou de sève », mais aussi « être plein de désir », particulièrement « être plein de désir amoureux », et a un dérivé tardif, orgasmos, « orgasme ».
Ainsi, linguistiquement parlant s’entend, notre asperge nous a conduit à l’orgasme. Les tours et détours de la langue sembleraient donc bien confirmer ce que nous enseignent nos amis botanistes : l’asperge est un aphrodisiaque.
Rappelons d’ailleurs, pour conclure, que, dans ses ouvrages sur l’argot, Auguste Le Breton signale que le nom asperge désigne le sexe masculin et que l’expression aller aux asperges signifie « chercher fortune sur le trottoir ».