vendredi 26 juillet 2024

RANCUNE, subst. fém.

 A. − État affectif durable fait d'aigreur, de ressentiment, du désir de se venger, lié au souvenir d'une offense, d'une frustration ou d'une injustice et, généralement, cristallisé sur la personne que l'on tient pour responsable de ces préjudices. Synon. ressentiment.Il se rappelait les conversations; il les déformait. Il sentait le remords d'accusations grossies et inexactes, mais une rancune amère lui ôtait le désir de les rectifier (MalègueAugustin, t. 1, 1933, p. 246):

1. En ne se décidant pas pour moi, Zaza pactisait avec des adversaires acharnés à me détruire et je lui en voulus. Elle redoutait le voyage qui lui était imposé, elle se tourmentait; je marquai ma rancune en refusant d'entrer dans ses soucis... BeauvoirMém. j. fille, 1958, p. 287.
− [Constr. avec un compl. désignant la pers. sur laquelle est cristallisé ce sentiment, introd. par contre, plus rarement à l'égard de, envers, pour] Elle se couchait sous les coups sans honte, souhaitait d'être morte, incapable de rancune envers son bourreau (BernanosMouchette, 1937, p. 1301).Sa rancune à l'égard de Dubreuilh ne mourrait pas de sitôt(BeauvoirMandarins, 1954, p. 255).Rare. [Le compl. prép. désigne un objet, une entité] Leur passé, leur jeunesse, leur rancune à l'égard des idées et des mots, leurs rêves d'aventure, leurs ambitions incertaines (BeauvoirMandarins, 1954, p. 216).
− Loc. adj., rare. De rancune. Synon. de rancunier.La population hâve et maigrie dont elles [les usines] inondaient le pavé boueux, gardait des yeux de rancune (ZolaTravail, t. 1, 1901, p. 15).
B. − 
1. Au plur. Moments de rancune (liés à des souvenirs ou des personnes différentes); sentiments de rancune éprouvés par plusieurs personnes. Je ferai des vœux pour que la France (...) sorte enfin du cercle étroit des partis et des rancunes politiques (Lamart.Corresp., 1832, p. 285).[Les perversités] suivent des déceptions, des rancunes, des haines infantiles, des chocs affectifs inconscients, ou même la fréquentation quotidienne, depuis l'enfance, d'un milieu immoral (MounierTraité caract., 1946, p. 728).V. coriace ex. 2.
2. [Dans diverses combinaisons]
a) [Combiné avec une prép.]
− [Avec avec] Elle parlait devant elle avec de la rancune, mais le fond de son cœur est tout résigné (NoaillesVisage émerv., 1904, p. 122).Les enfants se rappellent avec rancune ceux qui ont été mauvais pour eux (ProustSodome, 1922, p. 1122).
− [Avec dans] [L'huissier] implora d'un regard le père Fouan. Celui-ci continuait de fumer tranquillement sa pipe, dans sa rancune féroce contre les frais de justice et l'homme qui les incarne, aux yeux des paysans (ZolaTerre, 1887, p. 331).
− [Avec de; constr. avec un verbe ou un adj. décrivant un état ou un comportement] Louchant de rancune, ils descendaient du trottoir mince pour faire place au grand patron (HampMarée, 1908, p. 63).Contre Raboliot, il y avait Volat; un Volat fiévreux de rancune, gonflé de griefs venimeux, le vrai Volat, le dangereux, le mauvais (GenevoixRaboliot, 1925, p. 91).
− [Avec en] Rare. Il n'y a que les Français (...) qui abattent les croix, dévastent les églises, en rancune du clergé de l'an de grâce 1 000 ou 1 100 (Chateaubr.Mém., t. 3, 1848, p. 434).
− [Avec par] Combien n'est-il pas plus flatteur de voir un critique, par rancune ou dépit, se forcer au dénigrement, que, par camaraderie, à l'indulgence (GideJournal, 1927, p. 848).
− [Avec sans] Elle pensait à Jean sans rancune, sans haine, à cette malheureuse femme, à son petit (Daniel-RopsMort, 1934, p. 448).
♦ [Formule de réconciliation invitant l'interlocuteur à oublier un reproche, une critique que l'on vient de faire] C'est une gaucherie à toi de venir me tourmenter sur un caractère que tu sais bien que j'ai, et qu'on ne pourrait modifier qu'en se montrant aimable et non en faisant le métier de précepteur. Sans rancune au reste, et bonsoir (StaëlLettres jeun., 1790, p. 358).
b) [Combiné avec un verbe]
− [Avec avoir] Avoir rancune (vieilli), de la rancune (contre qqn); (avoir) une rancune (combiné avec un syntagme déterm.); (expr. quantifiante) + rancune, des rancunes.Avoir de la rancune au cœur. Le préfet avait une rancune contre la marquise, mais sa galanterie n'hésita pas (ZolaCurée, 1872, p. 559).J'ai de rancune pour personne, dit Madelon les dents serrées (GionoGd troupeau, 1931, p. 30):
2. − C'est que... vous savez... elle a de la rancune, MmeBondel. − Oui, mais je vous assure qu'elle ne vous en veut plus. Je suis même convaincu que cela lui fera grand plaisir de vous voir comme ça, à l'improviste. − Vrai? − Oh! vrai. − Eh bien? allons, mon cher. Maupass.Contes et nouv., t. 1, Épreuve, 1889, p. 1125.
♦ Avoir de la rancune de qqc. (désignant le préjudice dont le souvenir cause de la rancune). Ils avaient une rancune noire de leur marmite renversée trop tôt, sans qu'ils pussent comprendre la nécessité de cette précipitation (ZolaDébâcle, 1892, p. 29).
− [Avec garder] Garder rancune à qqn; garder de la rancune, une rancune (combiné avec un syntagme déterm.); ne pas garder rancune à qqn. Il était encore dans la grosse douleur de son sacrifice, il gardait une rancune contre ces gens qui lui avaient acheté son rêve (ZolaBonh. dames, 1883, p. 600).Celui-ci gardait rancune au baron, qui lui-même ne lui disait pas bonjour (ProustPrisonn., 1922, p. 319).
♦ Garder (de la) rancune de qqc., de + verbe à l'inf., pour qqc. (désignant le préjudice dont le souvenir cause de la rancune).Elle rêvait mariage, − elle aussi! Frédéric en fut exaspéré (...) il lui gardait rancune pour sa longue résistance(Flaub.Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 242).Au fond, dans son ancienne toquade tournée à la haine, il lui gardait une rancune féroce de ses dévouements, de sa beauté, de cette vie à deux dont il n'avait plus voulu, par une perversion de ses goûts de monstre (ZolaNana, 1880, p. 1330).Elle me garde rancune d'avoir omis le rendez-vous au palais de justice (AdamEnf. Aust., 1902, p. 532).
− [Avec se prendre, tenir] Vous avez beau vouloir tenir rancune à notre France et la rendre responsable de l'injustice dont vous avez été victime; vous êtes misanthrope par principes et français au fond du cœur (JouyHermite, t. 4, 1813, p. 348).Elle se prit d'une rancune pour le docteur, d'une rancune qui grandissait sourdement et tournait à la haine, à mesure qu'elle se portait mieux (ZolaPage amour, 1878, p. 944).
SYNT. Éprouver de la rancune, un sentiment de rancune contre qqn; nourrir de la rancune contre, à l'égard de qqn; la rancune de qqn éclate; être dévoré, plein de rancune; (avoir) une voix chargée de rancune, un cœur gonflé de rancune; dire qqc. sur un ton de rancune; rancune obscure, secrète, sourde, tenace; ancienne, longue, profonde, vieille rancune; aigreur, amertume, animosité, colère, envie, haine, mauvaise humeur, jalousie, rage, rancœur et rancune.
Prononc. et Orth.: [ʀ ɑ ̃kyn]. Att. ds Ac. dep. 1694.  Étymol. et Hist. Ca 1100 (Roland, éd. J. Bédier, 2301); spéc. 1670 point de rancune (Mmede Sévigné, Lettre 6 juill. ds Corresp., éd. R. Duchêne, t. 1, p. 128); 1718 sans rancune (Ac.). Issu, par substitution de suff. (-une < lat. -udine; cf. amertune, att. en a. fr. à côté d'amertume*, v. FEW t. 24, p. 391a), de rancure (att. de ca 1165, Benoît de Sainte-MaureTroie ds T.-L., à fin xives., Jehan des Preis ds Gdf.), d'un lat. vulg. *rancura, lui-même issu par substitution de suff. du lat. rancor, -oris (rancœur*). Voir FEW t. 10, p. 55.  Fréq. abs. littér.: 1 463. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 617, b) 2 429; xxes.: a) 3 010, b) 2 582.  Bbg. Foerster (W.). Etymologisches. Z. rom. Philol. 1881, t. 5, pp. 98-99. − Kleiber (G.). Le Mot ire en anc. fr. Paris, 1978, pp. 395-397.

lundi 15 juillet 2024

APOGÉE, subst. masc.

 A.− Sens propre, ASTRON. et p. ext. ASTRONAUT. Point extrême de l'orbite elliptique d'un astre ou d'un corps céleste artificiel par rapport au centre de la terre. L'apogée du soleil, de la lune :

1. Supposons-nous donc dans le soleil, au centre du mouvement des planètes. Non seulement nous les verrions tourner autour de nous dans leurs périgées, c'est-à-dire quand elles sont du côté de la terre; mais encore dans leurs apogées, c'est-à-dire au-delà du soleil, parce que cet astre tourne sur lui-même en vingt-cinq jours et demi.Bernardin de Saint-PierreHarmonies de la nature,1814, p. 348.
2. Dans le cas des satellites artificiels, il est particulièrement intéressant de connaître les distances minimale et maximale du satellite (apogéepérigée). V. KourganoffAstron. fondamentale élémentaire,1961, p. 98.
SYNT. Être, arriver à son apogéeatteindre (à) son apogée.
− P. ext., rare. Apogée de la terre. Synon. de aphélie :
3. La terre ne décrit pas un cercle autour du soleil, mais bien une ellipse, ainsi que le veulent les lois de la mécanique rationnelle. La terre occupe un des foyers de l'ellipse, et, par conséquent, à une certaine époque de son parcours, elle est à son apogée, c'est-à-dire à son plus grand éloignement du soleil, et à une autre époque, à son périgée, c'est-à-dire à sa plus courte distance. VerneL'Île mystérieuse,1874, p. 547.
B.− Au fig. [Gén. dans une tournure poss. ou suivi d'un compl. de nom; en parlant d'un sentiment, d'un état, de l'évolution d'un phénomène] Degré le plus élevé qu'on puisse atteindre. L'apogée de la gloire :
4. Toutes les langues ont eu leur naissance, leur apogée et leur déclin ... Brillat-SavarinPhysiol. du goût,1825, p. 27.
5. Vint enfin l'heure du départ, qui sonna indifférente pour les autres, mais qui fut, dans leur vie à tous deux, le point suprême, l'apogée pathétique. FlaubertLa 1reÉducation sentimentale,1845, p. 170.
6. La splendide félicité de Gwynplaine et de Déa était, pour l'instant, absolument sans ombre. Elle était peu à peu montée jusqu'à ce point où rien ne peut plus croître. Il y a un mot qui exprime ces situations-là, l'apogée. Le bonheur, comme la mer, arrive à faire son plein. HugoL'Homme qui rit,t. 2, 1869, p. 152.
7. En mars 1820, il épouse Mllede Roquelaure, fort belle et qui a dix-huit ans. M. de Rollebon en a soixante-dix; il est au faîte des honneurs, à l'apogée de sa vie. SartreLa Nausée,1938, p. 27.
SYNT. L'apogée de la puissance, du romantisme, d'une carrière, de la douleur, de l'enthousiasme.
− Emploi adj., rare. Le plus intense, le plus élevé, maximum :
8. Le squelette des morts, pourtant, ne grimace pas. Et plus lugubre que lui, le masque amplifie le bourdonnement des puissances de désolation. Une fécondante idée fixe détruit à jamais l'équilibre du visage humain, le délivre de la peur et de la tristesse apogées en les enfermant dans leur représentation extrême.ÉluardDonner à voir,1939, p. 63.
PRONONC. : [apɔ ʒe].
ÉTYMOL. ET HIST. − 1. Subst. 1557 astron. (P. de MesmesInst. Astron., 25 ds DG, sans attest.); d'où fig. 1652 « degré supérieur d'une chose » (Guez de BalzacDissert. crit. 8 ds Rob. : le zénith de la vertu, le solstice de l'honneur et l'apogée de la gloire); 2. adj. 1690 astron. (Fur.). Empr. au gr. α ̓ π ο ́ γ ε ι ο ν littéralement « qui part de la terre » d'où « éloigné de la terre ».
STAT. − Fréq. abs. littér. : 138.
BBG. − Bouillet 1859. − Galiana Astronaut. 1963. − Guilb. Aviat. 1965. − Guyot 1953. − Lacr. 1963. − Méd. Biol. t. 1 1970. − Muller 1966. − Privat-Foc. 1870. − Sc. 1962. − Spr. 1967. − Uv.-Chapman 1956.