mercredi 30 mars 2022

VERTU, subst. fém.

A. − 
1. Vieilli. Courage physique ou moral; force d'âme, vaillance. Mâle vertu; vertu romaine. [Le partile plus nombreux admiroit la vertu et la fermeté d'une jeune vierge qui, libre de régner sur un vaste royaume avec le prince qu'elle aimoit, avoit préféré les ombres de la retraite et de la pénitence, à une puissance et à une félicité que la religion réprouvoit(CottinMathilde, t. 2, 1805, p. 248).Ce fut sans doute avec une profonde sagesse que les Romains appelèrent du même nom la force et la vertu (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 246).
2. Absol. [Avec l'art. déf.] Disposition habituelle, comportement permanent, force avec laquelle l'individu se porte volontairement vers le bien, vers son devoir, se conforme à un idéal moral, religieux, en dépit des obstacles qu'il rencontre. Amour, triomphe de la vertu; aimer, appeler, pratiquer la vertucroître, grandir en vertu; le vice et la vertu. La perfection de la volonté s'appelle la raison, la perfection de l'action est la vertu, virtus, action forte; car la vertu est force même avec la foiblesse physique (BonaldLégisl. primit., t. 1, 1802, p. 255).J'ai peur de n'avoir pas épuisé tous les moyens de persuasion pour ramener Dine dans le chemin de la vertu (AyméVaurien, 1931, p. 230).
− [En allégorie, personnification de la vertu] La vertu succombant sous l'audace impunie, L'imposture en honneur, la vérité bannie (Lamart.Médit., 1820, p. 99).
3. Exercice de la vertu; la vertu telle qu'elle apparaît dans son expression, sa réalisation. Vertu angélique, austère; paré de toutes les vertus. Les maîtres pieux et zélés ne manquoient pas (...) au clergé de France pour former des ecclésiastiques à toutes les vertus de leur état (BonaldLégisl. primit., t. 1, 1802, p. 216).Le christianisme (...) changea la position relative qu'occupaient entre elles les vertus. Les vertus rudes et à moitié sauvages étaient en tête de la liste; il les plaça à la fin. Les vertus douces, telles que l'humanité, la pitié, l'indulgence, l'oubli même des injures, étaient des dernières; il les plaça avant toutes les autres (TocquevilleCorresp.[avec Gobineau], 1843, p. 45).
− Vertu + adj. ou déterm. indiquant le domaine, l'espèce d'actes auxquels elle s'applique.Vertus chrétiennes, civiles, privées, morales, sociales. Vertus cardinales. V. cardinal1II A 1.Vertus théologales*.
− Loc. proverbiale. Faire de nécessité vertu. V. nécessité II B 3.
− En partic., vieilli ou plais. [À propos d'une femme] Retenue, chasteté; fidélité conjugale. À Séville, à Cadiz et à Grenade, il y avait de mon temps des bohémiennes dont la vertu ne résistait pas à un duro [douro] (MériméeLettres ctessede Montijo, t. 1, 1845, p. 135).La chasteté, pour la femme, est synonyme de vertu, comme pour l'homme la justice et le courage, car le milieu de l'homme est la cité, le milieu de la femme est la famille (MénardRêv. païen, 1876, p. 113).
♦ Femme de petite vertu. Femme de mœurs légères. À côté des salons de Mmede Staël, de MmeRécamier, de Mmede Condorcet à Auteuil, il s'en ouvrait d'autres, où l'on voyait se coudoyer des gens de toute origine et de toute culture, autour de Barras et d'Ouvrard ou des femmes de petite vertu qu'ils s'attachaient − la Tallien, la Fortunée Hamelin, la Joséphine de Beauharnais −, dont le déshabillé et le dévergondage servent aux anecdotiers pour caractériser l'époque directoriale (LefebvreRévol. fr., 1963, p. 602).
♦ Dragon de vertu. V. dragon1A 1 b.
♦ Prix de vertu. Prix autrefois décerné à une jeune fille irréprochable; p. ext., reconnaissance des dons, des qualités de quelqu'un qui mérite d'être distingué. La commission chargée de l'examen des titres des concurrents qui se présentaient comme ayant droit au prix de vertu (...) a décidé à l'unanimité que le prix de dix mille francs serait accordé cette année au sieur Bernard-Augustin Atar-Gull, nègre, né sur la côte d'Afrique, âgé de trente ans et quelques mois(SueAtar-Gull, 1831, p. 37).L'historien n'a pas à délivrer des prix de vertu, à proposer des projets de statues, à établir un catéchisme quelconque; son rôle est de comprendre ce qu'il y a de moins individuel dans les événements (SorelRéflex. violence, 1908, p. 63).
♦ P. méton., souvent iron. Femme qui constitue un modèle de chasteté, de fidélité amoureuse. Je prends pour bonnes toutes ces vertus de Genève; c'est la ville où il y a le moins de maris trompés (StendhalRome, Naples et Flor., t. 2, 1817, p. 283).Minutello: Tu veux me mettre dans les bras d'une courtisane en chômage ou d'une boîteuse? Bartholomeo: Elle est mariée et son mari est un homme qui voyage. Minutello: Alors, cette fille doit être une jolie vertu(SalacrouTerre ronde, 1938, I, 1, p. 143).
Plais. Croyais-tu pas avoir trouvé une vertu le jour où tu me racolas dans un cabaret? (HuysmansMarthe, 1876, p. 75).
Moyenne(-)vertu. Femme (dont la vertu est) peu farouche. Il se trouvait (...) une assez nombreuse compagnie. Des moyennes-vertus, des filles d'Opéra (...) et une douzaine de jeunes gens du monde, brillants par leur esprit, leurs prodigalités, ou leur débauche (BourgesCrépusc. dieux, 1884, p. 290).(Dame, demoiselle, femme) de petite vertu. Il y avait, aux alentours de l'école de médecine, un certain nombre de « demoiselles de petite vertu » qu'il connaissait(Martin du G.Devenir, 1909, p. 106).
4. [En représentation symbolique dans l'art chrét.] Les Vertus cardinales assises soutenoient le lutrin triangulaire(Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 285).Le surcot d'hermine que porte la justice est bordé de roses et de perles. Notre vertu a le front ceint d'une couronne ducale, ce qui a pu laisser croire qu'elle reproduisait les traits d'Anne de Bretagne(FulcanelliDemeures philosophales, t. 1, 1929, p. 195).
5. P. ext. Qualité morale. Vertus civiques, domestiques, militaires. Sous la surveillance d'une maîtresse dont la principale vertu est la sévérité (AlainPropos, 1921, p. 240).Roland Alexandre a toutes les vertus qui font le grand comédien (Combat, 19-20 janv. 1952, p. 2, col. 2).
B. − 
1. Vieilli ou littér. Propriété d'un corps, de quelque chose à quoi on attribue des effets positifs. Vertus d'une plante; remède sans vertu; avoir des vertus; connaître la/les vertu(s) de. Cette eau a des vertus particulières. Prise pendant neuf jours, elle guérit les yeux des petits enfans (SenancourObermann, t. 2, 1840, p. 37).Les vertus curatives et préventives des fruits frais (R. SchwartzNouv. remèdes et mal. act., 1965, p. 74).
− En partic., vx, SC. Vertu active. Principe agissant, pouvoir actif (d'apr. Rob. 1985). On avait récemment, au moyen de la distillation, tiré du haschisch une huile essentielle qui paraît posséder une vertu beaucoup plus active que toutes les préparations connues jusqu'à présent (Baudel.Paradis artif., 1860, p. 353).
2. Domaine abstr.Pouvoir, propriété. Vertu d'un dialogue. Le temps n'a par lui-même aucune vertu effective; tout arrive dans le temps, mais rien ne se fait par le temps (ProudhonPropriété, 1840, p. 202).Quand on fixe une heure à une femme, c'est sans y croire, c'est plutôt une heure qu'on se fixe à soi-même: on se dit qu'on n'aura à souffrir qu'à partir de ce moment-là. Voilà la vertu consolative du rendez-vous, du rendez-vous auquel elles ne se rendent pas (MorandHomme pressé, 1941, p. 222).
3. Loc. En vertu de
a) Par le pouvoir de. La poursuite peut avoir lieu en vertu d'un jugement provisoire ou définitif, exécutoire par provision, nonobstant appel (Code civil, 1804, art. 2215, p. 406).
b) En raison de, conformément au pouvoir de; en conséquence de. En vertu des pouvoirs qui me sont conférés; en vertu des bons principes. Une planète, qu'on suppose lancée dans l'espace en un instant donné, avec une vitesse et suivant une direction déterminée, parcourt, autour du soleil, une ellipse, en vertu d'une force dirigée vers cet astre, et proportionnelle à la raison inverse du carré des distances (CondorcetEsq. tabl. hist., 1794, p. 175).La faillite de Fendant et de Cavalier rendait leurs billets exigibles en vertu d'une des dispositions du Code de commerce (BalzacIllus. perdues, 1839, p. 526).
C. − RELIG. Un des cinquièmes choeurs de la hiérarchie des anges. Il y a trois hiérarchies d'esprits célestes (...) la première comprend les Séraphins (...) la deuxième, les Dominations, les Vertus et les Puissances (A. FranceRévolte anges, 1914, p. 101).Il existe des natures spirituelles; telles que les anges, les archanges et les autres vertus célestes et aussi notre âme (CendrarsBourlinguer, 1948, p. 100).
Prononc. et Orth.: [vε ʀty]. Att. ds Ac. dep. 1694.  Étymol. et Hist. A. 1. Fin xes. vertud « pouvoir » (Passion, éd. d'Arco Silvio Avalle, 376); 1643 faire vertu « exercer une certaine influence » (CorneilleMenteur, IV, 1); 2. ca 1100 « force physique, vaillance » (Roland, éd. J. Bédier, 1045); 3. ca 1145 « pratique du bien, force morale appliquée à suivre la règle » (WaceConception N.-D., éd. W. R. Ashford, 617). B. 1. Ca 1145 « telle ou telle qualité particulière » (Id.ibid., 1241); ca 1265 « qualité portée à un degré supérieur » (Brunet LatinTrésor, éd. F. J. Carmody, II, 87, p. 269); 2. a) 1170 plur. théol. « un des ordres de la hiérarchie céleste » (Maurice de SullySermons, éd. C. A. Robson, 23, 39, p. 136); b) ca 1275 sainte vertu (de Dieu) (Adenet le RoiEnfances Ogier, éd. A. Henry, 368, p. 71); 1279 vertus cardinales, v. cardinalc) 1370-72 vertus intellectuelles (OresmeEthiques, éd. A. D. Menut, 36a, p. 169); 3. a) 1642 « femme vertueuse » (CorneillePolyeucte, II, 4); 1677 « chasteté féminine » (RacinePhèdre, II, 6); 1732 (femme) de moyenne vertu (LesageGuzm. d'Alf., II, 6 ds Littré); 1909 demoiselle de petite vertu (Martin du G., Devenir, p. 91); b)1810 encre de la petite vertu « de mauvaise qualité » (CourierLettre à M. Renouard, p. 261); 4. 1832 « représentation symbolique d'une vertu chrétienne » (Raymond); 5. 1876 « nom donné pendant la révolution de 1789 aux figures remplaçant les dames dans les jeux de cartes » (Lar. 19e). C. 1. Ca 1150 « qualité propre à produire tel ou tel effet » (WaceSt Nicolas, éd. E. Ronsjö, 1113); 1270 « propriété d'une chose » (Philippe de BeaumanoirManekine, 2238 ds Œuvres, éd. H. Suchier, t. 1, p. 71: Des bonnes pieres ki i sont et des vertus qu'elles ont); xiiies. les vertus des herbes« principe, pouvoir actif » (Queste del Saint Graal, éd. A. Pauphilet, 220, 11); 2. 1659 en vertu de (DuezDict. ital. e françois). Du lat. virtutem, acc. de virtus « qualité distincte de l'homme, mérite, valeur », « qualités morales », « vigueur morale, énergie », « bravoure, courage, vaillance ».  Fréq. abs. littér.: 11 874. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 26 421, b) 11 804; xxes.: a) 11 527, b) 14 694.  Bbg. Quem. DDL t. 28 (s.v. de la petite vertu). − Sckomm. 1933, pp. 124-130.

vendredi 25 mars 2022

APHASIQUE, adj. et subst.

MÉD. (Malade) qui est atteint d'aphasie :

1. Une révélation curieuse (...), c'est que la mère de Baudelaire, qui mourait après son fils, mourut de la même maladie, mourut aphasique. Ainsi tombe la légende qui attribue à la vie de désordres de Baudelaire cette maladie, qui ne fut chez lui qu'un résultat de l'atavisme. E. et J. de Goncourt, Journal,1895, p. 800.

2. L'examen psychologique des aphasiques, de leurs intoxications et persévérations verbales, montre (...) combien subtil et approprié doit être ce réglage du jeu des inhibitions pour que le langage soit possible. Ruyer, La Conscience et le corps,1937, p. 111.

Rem. 1reattest. 1865 (Littré-Robin); dér. de aphasie* suff. -ique*.

PRONONC. : [afazik].

STAT. − Fréq. abs. littér. : 7.

BBG. − Littré-Robin 1865. − Méd. Biol. t. 1 1970

dimanche 20 mars 2022

POINT D'ORGUE

Viendrait du latin médiéval punctum organi, désignant dans l’organum un passage avec une voix grave tenant sa note de manière prolongée tandis que les autres développent des fioritures en valeurs brèves.


1. (Musique) Prolongement de la durée d’une note ou d’un silence à la convenance de l’interprète.

2. (Solfège) (Par métonymie) Signe en forme de point surmonté d’un demi-cercle, signalant sur une partition un tel prolongement.

3. (Figuré) Moment intense d’une célébration


« Autrefois les grandes dames aimaient avec affiches, journal à la main et annonces ; aujourd’hui la femme comme il faut a sa petite passion réglée comme du papier à musique, avec ses croches, ses noires, ses blanches, ses soupirs, ses points d’orgue, ses dièzes à la clef. »  (Honoré de Balzac, Autre Étude de Femme, 1839-1842)

dimanche 13 mars 2022

DIACHRONIQUE, adj. et subst.

A.− LING. Qui adopte le point de vue de la diachronie; qui a trait aux évolutions des faits de langue. Linguistique diachronique; études, faits diachroniques. La linguistique diachronique étudie, non plus les rapports entre termes coexistants d'un état de langue, mais entre termes successifs qui se substituent les uns aux autres dans le temps (Saussure, Ling. gén.,1916, p. 193).La linguistique s'est ainsi scindée en deux branches : une « linguistique diachronique ou évolutive » et une « linguistique synchronique ou statique » (Perrot, Ling.,1953, p. 105).

− En emploi subst. sing. avec valeur de neutre. L'opposition entre le diachronique et le synchronique éclate sur tous les points (Saussure, Ling. gén.,1916p. 127).

B.− P. ext. Qui concerne l'appréhension d'un fait ou d'un ensemble de faits dans son évolution à travers le temps. L'étude diachronique et relationnelle des sociétés dites hier « primitives » prépare à une telle et nécessaire exigence (Traité sociol.,1968, p. 462).

Prononc. : [djakʀ ɔnik]. Étymol. et Hist. 1916 diachronique tout ce qui a trait aux évolutions (Saussure, Ling. gén., p. 117). Dér. de diachronie*; suff. -ique*.

DÉR.

Diachroniquement, adv.D'un point de vue diachronique; de manière diachronique. P. métaph. (et p. réf. aux deux axes, synchronique et diachronique, de Saussure, Ling. gén., 1916, p. 115, 116). Dans un ordre qui suit l'évolution, le déroulement. Une partition d'orchestre n'a de sens que lue diachroniquement selon un axe (page après page, de gauche à droite), mais en même temps, synchroniquement selon l'autre axe, de haut en bas (Lévi-Strauss, Antropol. struct.,1958, p. 234).− [djakʀ ɔnikmɑ ̃]. − 1reattest. 1958 id.; de diachronique, suff. -ment*.

BBG. − Dub. Dér. 1962, p. 50.