mercredi 17 novembre 2021

ANATOMIE, subst. fém.

 MÉDECINE

A.− Dissection d'un corps organisé en vue d'en étudier la structure :
1. L'anatomie des coquillages est très-délicate, et offre des difficultés insurmontables. Voyage de La Pérouse,t. 4, 1797, p. 124.
2. Qui eût osé soutenir que la chenille, avec ce luxe pesant d'organes digestifs qu'elle traîne et ses grosses pattes velues, fût même chose qu'un être ailé, éthéré, le papillon? Il [Swammerdam] osa dire, et montra par la plus fine anatomie, que chenilles, nymphes et papillons, c'étaient trois états du même être, trois évolutions naturelles et légitimes de sa vie. J. MicheletL'Insecte,1857, p. 99.
1. En partic. Dissection en vue de l'enseignement ou de la recherche médicale. Amphithéâtre d'anatomie, leçon d'anatomie :
3. Les hommes à collerette et à grand chapeau noir rapprochent leurs têtes autour d'une table, comme dans la Leçon d'anatomieP. MorandNew-York,1930, p. 8.
♦ Pièce, préparation d'anatomie. Partie d'un corps disséqué de manière à pouvoir être conservé en vue de l'enseignement ou de la recherche; p. ext., son imitation en plâtre, en cire, etc. :
4. Pendant que j'observais les pièces d'anatomie, Mmede Sesanne était restée à quelque distance de moi, appuyée sur un autel antique formé tout entier de débris humains. V. de JouyL'Hermite de la Chaussée d'Antin,t. 2, 1812, p. 365.
5. Les crabes avaient mangé l'homme, la pieuvre avait mangé les crabes. Il n'y avait près du cadavre aucun reste de vêtement. Il avait dû être saisi nu. Gilliatt, attentif et examinant, se mit à ôter les crabes de dessus l'homme. Qu'était-ce que cet homme? Le cadavre était admirablement disséqué. On eût dit une préparation d'anatomie; toute la chair était éliminée; pas un muscle ne restait, pas un os ne manquait. V. HugoLes Travailleurs de la mer,1866, p. 382.
♦ Cabinet d'anatomie. Lieu où l'on conserve en vue de l'enseignement ou de la recherche des collections de pièces d'anatomie :
6. De même que la vue d'un cabinet d'anatomie, où les maladies infâmes sont figurées en cire, rend chaste et inspire de saintes et nobles amours au jeune homme qu'on y mène; de même la vue de la conciergerie et l'aspect du préau, meublé de ces hôtes dévoués au bagne, à l'échafaud, à une peine infamante quelconque, donnent la crainte de la justice humaine à ceux qui pourraient ne pas craindre la justice divine, (...). H. de BalzacSplendeurs et misères des courtisanes,1848, p. 521.
♦ Planche, table d'anatomie. Image, représentation d'une pièce ou d'une préparation d'anatomie :
7. L'analyse doit toujours précéder la synthèse; mais de l'analyse à l'œuvre d'art il y a toute la différence qui est entre une planche d'anatomie et une statue. Tout le travail préparatoire doit être résorbé; il doit devenir invisible encore que toujours présent. A. GideJournal,1923, p. 771.
− P. méton. Ce qui est saisi ou connu par la dissection.
a) Structure d'un organe ... :
8. Quoique l'anatomie des plantes marines nous soit encore inconnue, il est certain qu'elles sont harmoniées avec toutes les puissances de la nature. J.-H. Bernardin de Saint-PierreHarmonies de la nature,1814, p. 184.
b) Le corps en tant qu'il est disséqué ou analysé.
− Vx. Squelette :
9. Le Tyran vint, quand il fit grand jour, avec un garçon de ferme pour chercher le chariot. Il heurta du pied la carcasse du loup à demi rongé et vit entre les brancards, sous les harnais, que les crocs ni les becs n'avaient entamés, l'anatomie de la pauvre bête. T. GautierLe Capitaine Fracasse,1863, p. 174.
− P. ext., et parfois iron. Forme, aspect extérieur d'un corps.
♦ [En parlant d'une pers.] :
10. Puis revenant à l'obsession académique, il se dit et ses lèvres en remuèrent : « Quand je pense que j'en ai vu au moins quinze tout nus, et que je n'ai que quatorze voix!... Quel peut bien être le quinzième? » Parmi les anatomies qu'il avait eues devant lui, les dos arrondis piquetés de vieux points noirs, les gros ventres surplombant un reste de toison blanche, il cherchait le traître. M. DruonLes Grandes familles,1948, p. 29.
11. D'ailleurs je me voyais si mal enceinte avec le corps mince et dur que j'avais... pour une fois, je me félicitais de mon anatomie d'adolescente. F. SaganBonjour tristesse,1956, p. 138.
♦ [En parlant d'un animal] :
12. Il arrive tout à coup des rafales hurlantes pleines d'anatomies merveilleuses. Ce sont des têtes d'alligators sur des pieds de chevreuil, des cous de cheval terminés par des vipères, des grenouilles velues comme des ours, des hiboux à queue de serpent, ... G. FlaubertLa Tentation de saint Antoine,1856, p. 599.
♦ En partic. dans la lang. des B.-A. :
13. Le surlendemain, dès huit heures, Pellerin vint lui faire visite. Il commença par des admirations sur le mobilier, des cajoleries. Puis, brusquement : − « Vous étiez aux courses, dimanche? » − « Oui, hélas! » Alors, le peintre déclama contre l'anatomie des chevaux anglais, vanta les chevaux de Géricault, les chevaux du Parthénon. G. FlaubertL'Éducation sentimentale,1869, p. 17.
14. Ce modèle a une belle anatomie : se dit d'un modèle vivant bien proportionné. HuguesExpressions d'atelier.
2. Au fig. Analyse méthodique et subtile :
15. Descartes, Malebranche, Pascal ont cherché les définitions du travail de la pensée, mais Kant et d'autres philosophes allemands cherchent l'anatomie, la dissection de la pensée. A. de VignyLe Journal d'un poète,1847, p. 1251.
16. Il est bien étrange que ce soit nous, entourés, encombrés de tout le joli du xviiiesiècle, qui nous livrions aux plus sévères et presque aux plus répugnantes études du peuple; que ce soit nous, chez lesquels la femme a si peu d'entrée, qui fassions de la femme l'anatomie la plus sérieuse, la plus creusée, la plus intime. E. et J. de GoncourtJournal,1864, p. 50.
Rem. Syntagmes rencontrés anatomie d'une passion, d'un sentiment; anatomie de l'âme, − psychologique.
B.− P. méton. Science qui a pour objet l'étude de la structure et de la morphologie des êtres vivants et en particulier de l'homme :
17. Les progrès de l'anatomie furent très lents, non seulement parce que des préjugés religieux s'opposaient à la dissection des cadavres, mais parce que l'opinion vulgaire en regardait l'attouchement comme une sorte de souillure morale. A. de CondorcetEsquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,1794, p. 67.
Rem. Quelques syntagmes anatomie comparée, descriptive, humaine, pathologique; anatomie du cerveau, de la facecours, leçons d'anatomie.
Prononc. : [anatɔmi]. D'apr. Fér. 1768 et Fér. Crit. t. 1 1787, la syllabe finale est longue. Gattel 1841 transcrit l'avant-dernière syllabe avec [o] fermé. Enq. : /anatomi/.
Étymol. ET HIST. − 1. 1370 « étude de la structure des organes par leur dissection » (OresmeEth., 29 ds Gdf. Compl. : Et en ont un livre que il appellent anatomie); 2. p. ext. 2emoitié xves. « squelette » (Nouv. Fabr. des excell. traits de verité, p. 41, ibid. : Entre lesquelles estoit un vieil homme, grand et sec comme une anatomie); 3. 1569 fig. « examen minutieux, analyse » (CalvinSermon sur le livre de Job, 115 ds Hug. : Si on eust fait quelque anatomie de son cœur, et sondé ou espluché là dedans tout ce qui y estoit ... on n'y eust trouvé nulle hautesse secrette). Empr. au b. lat. anatomia attesté au sens de « dissection » dep. Caelius AurelianusAcut., 1, 8, 57 ds TLL s.v.; bien attesté en lat. médiév., Mittellat. W. s.v.
STAT. − Fréq. abs. litt. : 536. Fréq. rel. litt. : xixes. : a) 827, b) 1 563; xxes. : a) 445, b) 467.
BBG. − Archéol. chrét. 1924. − Bouillet 1859. − Forest. 1946. − Garnier-Del. 1961 [1958]. − Husson 1970. − Laf. Suppl. 1878. − Lar. méd. 1970. − Le Roux 1752. − Littré-Robin 1865. − Méd. 1966. − Méd. Biol. t. 1 1970. − Nysten 1824. − Pollet 1970.

lundi 15 novembre 2021

OFFICE, subst. masc.

I. − [Ce qui est accompli par obligation morale ou sociale]

A. − Vieilli ou littér.

1. [Gén. suivi d'un adj. ou d'un compl. déterminatif précisant la nature du devoir ou la circonstance dans laquelle on doit l'accomplir] Devoir (v. ce mot B 1). Tous les offices de la vie civile (Ac. 1798, 1878). C'est l'office d'un bon père, d'un bon fils, d'un bon mari, d'un bon citoyen (Ac. 1935). Le bourgeon [de la vanité] est donc, à tout prendre, un triste conseiller, un pitoyable maître; et, s'il n'est possible de l'extirper jusqu'à la racine, au moins est-ce l'office de l'homme de sens que de le refouler sans cesse, et d'en arrêter les pousses à mesure qu'il les voit poindre (Toepffer,Nouv. genev.,1839, p.203).Vous devez, ma fille, rappeler d'abord le but continu de la vie humaine, la conservation et le perfectionnement du grand-être, qu'il faut à la fois connaître, aimer, et servir. Chacun accomplit spontanément ce triple office, que la religion systématise par le dogme, culte, et le régime (Comte,Catéch. posit.,1852, p.92).Ce que nous avons à faire, faisons-le incessamment (...). Armons-nous sans hâte ni délai pour cette part qui est de notre office (Claudel,Corona Benignitatis,1915, p.370).

2. But, tâche que l'on se donne à soi-même avec le sentiment d'un devoir à remplir. Synon. mission.Je ne pouvais m'exempter de revenir ici, car mon office est d'ouvrir le flanc de Monsanvierge et de fendre la paroi à chaque fois qu'un vol nouveau de colombes y veut entrer (Claudel,Annonce,1948, prol., p.135).Ce qu'il [Barrès] veut, c'est ranimer ces régions délaissées qui subsistent au fond de notre coeur (...). Voilà sa mission, son office (Massis,Jugements,1923, p.245).

B. − Dans le domaine de la vie publ., admin., etc.

1.

a) Tâche que l'on doit accomplir. Synon. charge, emploi, fonction.S'acquitter de son office; vaquer à son office; être préposé à un office; remplir l'office de secrétaire; abandonner, résigner un office. Il fallait un grand nombre de gardes pour empêcher le peuple indigné de remplacer les bourreaux dans leur office (Stendhal,Abbesse Castro,1839, p.213).Il m'est impossible de conserver comme garçon de laboratoire une personne qui ne possède aucune des qualités requises pour cet office (Duhamel,Combat ombres,1939, p.98):

1. ... les gens du Monestier, piqués de n'avoir pas un maître d'école comme ceux des autres villages, offrirent la place à Barthélemy. Son office, désormais, fut d'apprendre aux enfants à lire, écrire et chiffrer, de balayer l'église, d'en chasser les chiens et de chanter au lutrin, bref, d'être à la fois le magister et le sacristain de la paroisse. Pourrat,Gaspard,1922, p.158.

♦ Faire office de, faire l'office de. Remplir, sans en être le titulaire ou l'agent habituel, la charge de. Synon. faire fonction(s) de (v. fonction I A 3 bα).Criton, qui faisait office de maître d'hôtel, servit des gelées, des coulis et des purées (A. France, Rôtisserie,1893, p.75).Les Indiens Crow ne pouvaient admettre de luttes intestines; le chef et sa police faisaient donc office d'intermédiaires pour tâcher d'obtenir une réconciliation (Lowie,Anthropol. cult.,trad. par E. Métraux, 1936, p.314).

♦ Faire, remplir son office. S'acquitter de ses fonctions. Voir le bourreau remplir son office (Dumas père, Monte-Cristo,t.1, 1846, p.583).Montrant [au prêtre de Nemi] les victimes [d'un sacrifice religieux]. Ces gens-là sont contents de mourir. Fais ton office (Renan,Drames philos.,Prêtre Nemi, 1885, ii, 3, p.554).

b) P. anal. Usage, destination (d'une chose). Synon. emploi (v. ce mot A 1), rôle.Il en est de cela comme d'un meuble qui ne remplit pas bien l'office auquel il est destiné, ou dont on n'avait pas besoin, et qui embarrasse plutôt qu'il ne sert (Say,Écon. pol.,1832, p.478).Les critiques docilement décrétaient que l'office essentiel de l'oeuvre d'art est de plaire (Rolland,J.-Chr.,Foire, 1908, p.723).

♦ Faire office de. Tenir lieu de. Synon. faire fonction de (v.fonction I B 3).Un champignon séché faisant office d'amadou (Lowie,Anthropol. cult.,trad. par E. Métraux, 1936p.74).Le fossé qui borde talus ou haies fait office de drain (Meynier,Paysages agraires,1958, p.165).Le foie fait également office de réservoir et de régulateur pour plusieurs vitamines, pour divers éléments minéraux et plus spécialement pour le fer (Bariéty, Coury,Hist. méd.,1963, p.691).

♦ Faire, remplir son office. Produire l'effet escompté, jouer son rôle. La vanité a fait son office; elle ressemble à ces coups de soleil qui brûlent un peu les fruits, mais qui les mûrissent (Taine, Notes Paris,1867, p.257).Les batardeaux précédents seraient démolis permettant aux vannes et aux écluses de remplir leur office (Romanovsky,Mer, source én.,1950, p.100).

2. En partic., vieilli. Service de la table. (Dict. xixeet xxes.). Ce domestique sait bien l'office, sait très bien l'office, entend bien l'office (Ac. 1798-1878).

− P. méton. Ensemble des domestiques affectés au service de la table; p. méton. personnel de l'office (v. office2). Dans cette maison, l'office est très nombreux (Ac.). L'on dirait que l'office se doute de quelque chose tellement les valets renforcent leur dédain cérémonieux (A. Daudet, Rois en exil,1879, p.369).

3. Spécialement

a) DROIT

α) DR. ADMIN. Fonction publique de justice, de finances, conférée à vie pour laquelle le titulaire a le droit de présenter des successeurs. Synon. charge (v. ce mot II B 1 c).Office d'agent de change; office d'avocat au Conseil d'État, à la Cour de Cassation; office d'avoué, de commissaire-priseur, d'huissier, de notaire; céder un office. Le droit de présenter un successeur appartient seulement au titulaire de l'office, à ses héritiers ou légataires, ces derniers perdant le droit si le titulaire a été destitué ou contraint de donner sa démission (Lar. comm.1930).Les registres exclusivement relatifs à l'exercice des fonctions sont, de même que les dossiers, un accessoire de l'office et, à ce titre, virtuellement compris dans la cession (Réau-Rond.1951, p.900).

♦ Office ministériel. Office auquel sont attachées des fonctions dépendantes de l'administration de la justice (d'apr. Cap. 1936). La fixation du prix des offices ministériels intéresse l'ordre public (Réau-Rond.1951, p.900).

♦ Office public. Office auquel sont attachées des fonctions indépendantes de l'administration de la justice et dont les titulaires jouissent du droit d'authentifier des actes (d'apr. Cap. 1936). Tous les titulaires d'offices publics et d'offices ministériels (Rob.1959, s.v. officier2rem.).

β) HIST. DU DR. [Sous l'Ancien Régime] Charge publique, inamovible et vénale, qui se transmettait héréditairement. Office de finance, de judicature; office royal; acheter un office; être revêtu d'un office. C'est Louis XII qui achève de fonder la vénalité des offices; c'est Henri IV qui en vend l'hérédité (Tocqueville,Anc. Rég. et Révol.,1856, p.188).Entré, après la suppression des offices, à la mairie de Paris, il était maintenant un dragon sans-culotte et le greluchon d'une ci-devant (A. France,Dieux ont soif,1912, p.64).De très nombreux offices −près de 4000 en 1789 −étaient accompagnés de privilèges importants, notamment l'anoblissement (Encyclop. Alpha, Paris, Grange Batelière, t.11, 1971, p.4338).

γ) Loc. adj. ou adv. D'office

− DR. PÉNAL. (Qui agit) en vertu des obligations de sa charge. Le juge a informé d'office (Ac.).Lachaud plaide d'office pour lui; et (...) lui obtient une indemnité de 95.000 francs (Goncourt,Journal,1876, p.1130).Il avait été chargé de défendre d'office une femme accusée d'avoir volé une paire de bas (Theuriet,Mais. deux barbeaux,1879, p.7):

2. Smith veut que la justice civile soit payée par les plaideurs. Cette idée deviendrait plus praticable encore, si tous les jugemens étaient rendus, non par des tribunaux nommés d'office, mais par des arbitres choisis par les parties, entre un certain nombre d'hommes désignés à la confiance publique. Say,Écon. pol.,1832, p.501.

♦ Avocat (désigné, nommé) d'office. V. avocat I A.

− DR. ADMIN. (Qui se fait) par voie d'autorité, sans tenir compte de l'avis de l'intéressé. Être mis à la retraite, être promu d'office; démission, mutation d'office. N'est-ce pas en vertu du principe que nul n'a le droit de nuire à autrui qu'est ordonné l'internement d'office des aliénés dès que l'enquête a démontré qu'ils constituent un danger pour eux-mêmes ou pour autrui (Biot,Pol. santé publ.,1933, p.29).Ceux-ci [les ministres] démissionnent après leur mise en minorité, mais ne sont pas démis d'office (Vedel,Dr. constit.,1949, p.169).Être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office (Lubrano-Lavadera,Législ. et admin. milit.,1954, p.124).

♦ P. ext. (Qui se fait) automatiquement. Envoi d'office (v. envoi B 2). Rien dans le patron d'aujourd'hui (celui de la livraison du premier dimanche du mois, servi d'office et gratuitement aux abonnées) qui demande une explication autre que la toilette de visite (Mallarmé,Dern. mode,1874, p.779).Il ne vit plus en Anne cette espèce de supériorité qu'il lui accordait d'office (Radiguet,Bal,1923, p.191).Il se savait trop singulier pour que ses jugements sur la vie fussent valables, d'office, pour un autre que lui seul (Montherl.,Lépreuses,1939, p.1457).

b) HIST. DE FRANCE. [Sous l'Ancien Régime]

α) Charge de la maison du roi. Les sept offices de la bouche du roi:

3. ... la distinction entre grands officiers de la maison du roi et grands officiers de la couronne n'était pas toujours aisée à établir, depuis que les offices de la maison du roi étant de fait permanents n'apparaissaient plus comme différents des grands offices de la couronne, doués de pérennité comme la couronne elle-même. MarionInstit.1923, pp.407-408.

β) Grand office de la couronne. Haute dignité de la cour des rois de France, inamovible mais non héréditaire, dont les titulaires étaient attachés au service privé du souverain. Il y avait donc à la fin de l'ancien régime six grands offices de la couronne: le chancelier, le grand maître, le grand chambellan, le grand amiral, les maréchaux, le grand écuyer (MarionInstit.1923p.407).V.aussi supra ex. 3.

4. P. méton.

a) Établissement où s'effectue une activité particulière; p. ext. lieu de travail. Synon. agence (v. ce mot I B), bureau (v.ce mot II B 2).Office commercial; office de publicité, de tourisme. Au fond de la salle (...) un petit retranchement en planches (...) était devenu, grâce à un grillage avec chatière, «l'office» du bateau à vapeur, c'est-à-dire le bureau de la Durande (Hugo,Travaill. mer,1866, p.111).

b) DR. ADMIN. ,,Organisme chargé statutairement d'une tâche ou d'une mission déterminée d'intérêt public`` (Admin. 1972). Office des Anciens Combattants, Office Public d'H.L.M. (O.P.H.L.M.), Office de Radiodiffusion-Télévision française (O.R.T.F.), Office National des Forêts (O.N.F.), Office des Pêches, Offices des Changes. L'office national météorologique a provoqué une enquête sur les périodicités, dont les résultats se trouvent, passim, dans les années 1936 et 1937 de la Météorologie (Maurain,Météor.,1950, p.174).L'office des céréales qui a la charge de réglementer et de diriger le marché des céréales (Meynaud,Groupes pression Fr.,1958, p.216).Un office national des Forêts doit assurer la mise en valeur et la meilleure exploitation de biens forestiers domaniaux (Belorgey,Gouvern. et admin. Fr.,1967, p.93).

C. − Dans le domaine relig.

1. LITURG. CATH.

a) Office (canonial, divin). Ensemble des prières et des lectures que les chanoines, les religieux et les religieuses doivent chanter ou réciter quotidiennement au choeur à des heures déterminées de la journée. Synon. heures canoniales*.Dire, entendre l'office. Sortie des traités sur le plain-chant et l'office divin, rien ne l'intéresse [une religieuse] (Huysmans,Oblat,t.1, 1903, p.33).L'émir, visitant à Sébaste l'église de Saint-Jean-Baptiste, est bouleversé par la ferveur des moines latins qu'il a vus en train de réciter l'office (Grousset,Croisades,1939, p.161).V. bréviaire ex. 2.

− Livre d'office. Recueil des prières chantées ou récitées au service divin. Acheter un livre d'office (Ac.1798-1878).

− En partic. Ensemble des prières et des lectures prévues pour un moment déterminé, une fête particulière de l'année liturgique. Office du jour; office de la nuit, du matin, du soir; office de saint Jean-Baptiste; calendrier des offices. L'office de cette fête est fort long (Ac.). Jusqu'à six heures, assis par bandes sous les saules, ses camarades et lui [l'abbé Mouret] récitaient en choeur l'office de la Vierge (Zola,Faute Abbé Mouret,1875, p.1301).La liturgie pouvait exhiber le plus merveilleux écrin de son douaire, l'office de saint Thomas (Huysmans,En route,t.2, 1895, p.253).La récitation des offices fut souvent assurée jusqu'à l'époque moderne sur de vieux manuscrits dont les graphies nous sont devenues peu familières (L'Hist. et ses méth.,1961, p.587).

♦ Office des morts. Ensemble des prières instituées en commémoration des morts. Aussi mon coeur s'en va quand je vois sur le soir Le convoi d'un défunt, les cierges, le drap noir, Et l'office des morts avec les chants funèbres (Delavigne,Louis XI,1832, iii, 3, p.107).L'office des morts ne veut pas être consolateur; les chants portent l'effroi par la seule résonnance (Alain,Propos,1932, p.1065).

♦ Petit office. Service abrégé de la Vierge ou d'un saint. Quant aux petits offices, deux bougies suffisent (Huysmans,Oblat,t.2, 1903, p.181).

♦ [Précédé d'un adj. poss.] Ensemble des prières du jour qui sont contenues dans le bréviaire pour la récitation privée. Synon. bréviaire (v. ce mot A 2).Dire, réciter son office; à quoi en êtes-vous de votre office? Quand j'aurai achevé mon office (Ac. 1798-1878). Toute sa journée était remplie par la récitation de son office (Sainte-Beuve,Port-Royal,t.3, 1848, p.604).

b) Cérémonie du culte; en partic. sacrifice de la messe. Aller à l'office; assister aux offices; manquer l'office; célébrer un office. Dès le neuvième siècle, Amalarius, abbé de Hornbach, au diocèse de Metz, parlait d'instrument en bois destiné à annoncer les offices religieux (D'Allemagne,Hist. jouets,1902, p.28).Le trio des saintes femmes assiste quotidiennement à l'office. Et, comme M.le Curé n'a pas d'enfant de choeur pendant la semaine, elles ont la joie de répondre la messe, à tour de rôle, chacune leur jour (Martin du G.,Vieille Fr.,1933, p.1026):

4. L'Empereur racontait, qu'aumônier des princes d'Orléans et leur disant un jour la messe, quelque chose d'imprévu les fit sortir successivement durant l'office. L'abbé [Sieyès] se retournant et n'apercevant plus que les valets, ferma le livre et sortit aussi, disant qu'il n'était pas payé pour dire la messe à la canaille. Las Cases,Mémor. Ste-Hélène,t.2, 1823, p.191.

2. P. anal. Cérémonie liturgique (dans une religion autre que la religion catholique). Les offices [dans le judaïsme] sont normalement présidés par le rabbin, maître chargé de l'enseignement et de la prédication, et dirigés par un officiant (hazan), mais ni l'un ni l'autre n'ont de caractère sacerdotal (La Gde encyclop., Paris, Larousse, t.35, 1974, p.7212).

II. − [Ce qui relève de l'obligeance]

A. − Vieilli, au sing.

1. (Bon) office. Service que l'on rend à quelqu'un. Le monde que je vois est plein de braves gens, Affables, généreux, probes, intelligents, Dévoués, toujours prêts à rendre un bon office (Ponsard,Honn. arg.,1853, i, 3, p.12).Il fit à la jeune fille des compliments sur sa broderie, et comme elle avait du fil à dévider, il lui présenta ses mains pour ce petit office (Duranty,Malh. H.Gérard,1860, p.214).

♦ Faire, rendre office. Rendre service, se montrer obligeant. (Dict. xixeet xxes. sauf Ac.).

2. Mauvais office. Acte ou parole susceptible de porter préjudice à quelqu'un. Je veux bien (...) oublier mes injures particulières et tous les mauvais offices que vous m'avez rendus (Barante,Hist. ducs Bourg.,t.3, 1821-24, p.126).

B. − Au plur. Bons offices

1. Aide que l'on apporte à quelqu'un; en partic. intervention destinée à rapprocher ou à réconcilier des personnes entre elles ou à faciliter la conclusion des affaires qui les intéressent. Synon. aide, assistance, appui, concours, entremise, services.Offrir, proposer ses bons offices; avoir recours aux bons offices de qqn. L'auteur, qui ne vivait pas de son oeuvre, devait compter pour la rémunérer et pour la répandre sur le dévouement de ses amis ou les bons offices de protecteurs prenant en mains les intérêts de sa gloire (Civilis. écr.,1939, p.14-5).Henri VI, manquant à son tour d'argent, résolut d'alimenter son trésor défaillant grâce aux bons offices d'un alchimiste (Caron, Hutin,Alchimistes,1959, p.54).Une coopération étroite sera nécessaire entre les maîtres dans chaque classe (elle sera assurée grâce aux bons offices du professeur principal) (Capelle,Éc. demain,1966, p.74).

2. DR. INTERNAT. Démarche d'un État, d'un organisme international (ou de ses représentants) qui propose sa médiation dans le règlement d'un conflit opposant deux autres États. Monsieur bons offices. Il s'agissait d'un différend d'une certaine gravité (...), l'État intéressé (...) exposait sa revendication devant l'opinion publique internationale et requérait les bons offices du Conseil [de la Société des Nations] en vue d'arriver à un règlement satisfaisant (Conseil S.D.N.,1938, p.33).En aucune occasion, le Gouvernement yougoslave −faute d'en avoir sans doute la latitude −ne se tourna vers nous pour demander nos bons offices (De Gaulle,Mém. guerre,1956, p.203).Le 3juillet, la diète décida d'accepter les bons offices de la Prusse pour conclure la paix avec la France sur la base de l'intégrité de l'Allemagne (Lefebvre,Révol. fr.,1963, p.450).

Prononc. et Orth.: [ɔfis]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1160-74 liturg. cath. «ensemble des prières et des lectures prévues pour une fête déterminée» ici, office des morts (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, Appendice, 688: li maistre clerc chantent l'office); spéc. ca 1223 l'office devin «la messe» (Gautier de Coinci, Mir. Vierge, éd. V. F. Koenig, I Mir 22, 349). B. 1. 1174-76 ofice «fonction, tâche, rôle dont on doit s'acquitter» (Guernes de Pont-Ste-Maxence, StThomas, éd. E. Walberg, 2955); 1384-89 faire son office «remplir son rôle» (Philippe de Mézières, trad. de l'Hist. de Griseldis, éd. E. Golenistcheff-Koutouzoff, p.161); fin xves. faire office de «remplir la fonction de» (Roques t.2, B.N. 13032, 1396); 1612 faire l'office de «remplacer, tenir lieu de» (H. d'Urfé, L'Astrée, 1repart., éd. H. Vaganay, Lyon, 1925-28, t.1, p.404); 2. fin xiies. «charge» (Sermons de St Bernard, éd. W. Foerster, p.13, 30); spéc. ca 1375 nom donné à certaines charges publiques (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, 79, 35). C. Loc. adv. d'office 1. 1283 de son office «en vertu des obligations de sa charge» (Philippe de Beaumanoir, Coutumes Beauvaisis, éd. A. Salmon, 1157); 1338 d'ofisse (Etat des dettes de Robiert de Maude, Arch. Tournai ds Gdf. Compl.); 1508 d'office (Coutumes d'Anjou ds Nouv. Coutumier gén., t.4, p.536, LXXIII et LXXIV); 2. 1690 «sans en être requis, de son propre chef» (Fur.). D. 1467 «service que l'on rend; aide» (Arch. Nord, B 1693, fo12 vods IGLF); ca 1590 bons offices (Montaigne, Essais, L. II, chap. 8, éd. P. Villey, t.1, p.397); av. 1679 rendre de bons offices «intervenir en faveur de» (Cardinal de Retz, Mém., éd. A. Feillet, t.1, p.200). E. 1. 1863 «bureau, agence» (Commission internat. des postes, p.140 ds Littré: office expéditeur); 2. 1891 «service public de caractère industriel, commercial, administratif, etc., doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière» (loi du 20-21 juillet tendant à la création d'un office du travail ds Rec. Dalloz 1891, 4epart., p.70). Empr. au lat. officium «fonction, devoirs d'une fonction; assistance, service; devoir, obligation morale» qui désigna aussi dès le viies. les offices liturgiques (au plur., Isidore ds Blaise Lat. chrét.). Le sens E est empr. à l'angl. office «lieu où se traitent les affaires publiques ou privées» (dep. 1386, Chaucer ds NED), d'abord «service, fonction, etc.», empr. au fr. (cf. supra B); v. Rey-Gagnon Anglic. Bbg. Tracc. 1907, pp.158-159. _ Vidos (B. E.). Archivum Romanicum. 1930, t.14, p.143. _ Wind 1928, p.174.

PAROLE, subst. fém.

 I. − Au sing.

A. −

1. Faculté d'exprimer et de communiquer la pensée au moyen du système des sons du langage articulé émis par les organes phonateurs. Apprentissage de la parole; trouble de la parole; organe de la parole; être privé de l'usage de la parole; être doué de la parole. Dieu soumis lui-même, et plus que l'homme, aux lois générales qu'il a établies, a donné la pensée à condition de la parole, comme il a donné la vision à condition de la vue, et l'audition à condition de l'ouïe (Bonald, Législ. prim., t.1, 1802, p.48).Ils savent faire comprendre leur pensée sans l'emploi de la parole. L'attitude, le geste, la physionomie, l'expression du regard ont leur accent (Barrès, Cahiers, t.5, 1907, p.157).Ce fut Venant qui rompit le silence. Aussitôt les trois hommes se mirent à parler à la fois comme s'ils eussent par miracle recouvré l'usage de la parole (Guèvremont, Survenant, 1945, p.83).

♦ Perdre (l'usage de) la parole. Devenir muet, perdre la faculté de parler. Je décidai de perdre la parole et de vivre en musique (Sartre, Mots, 1964, p.103).

♦ Rester sans parole. Rester interdit, sans pouvoir parler (sous l'effet de la surprise, de l'émotion...). Tous deux restèrent sans paroles, parce qu'ils étaient dans un de ces moments solennels (...) où l'âme semble éprouver quelque chose de la félicité des cieux (Hugo, Han d'Isl., 1823, p.56).Quand tes grands yeux (...) Abaissent jusqu'à nous leurs aimables rayons, Comparables à ces fleurs d'été que nous voyons Tourner vers le soleil leur fidèle corolle, Lors je tombe en extase et reste sans parole (Verlaine, OEuvres compl., t.1, Jadis, 1884, p.328).

− Loc. Il ne lui manque que la parole. [En parlant d'un portrait particulièrement ressemblant au point de paraître vivant, d'un animal particulièrement intelligent] (Dict.xixeet xxes.).

2. Usage de cette faculté, expression verbale de la pensée. Convaincre qqn par la parole et par l'exemple; encourager qqn du geste et de la parole; être toujours maître de sa parole; avoir la parole nette, embarrassée; la parole et l'écriture. La communication verbale est beaucoup plus facile que la communication écrite, parce que la parole agit sur les sentiments d'une manière mystérieuse et établit facilement une union sympathique entre les personnes (Sorel, Réflex. violence, 1908, p.9).Il me persuada qu'il tirait bien. Mais il n'y parvint que par la force de la parole et contrairement au témoignage de mes sens (A. France, Vie fleur, 1922, p.305):

1. ... la parole n'est pas le «signe» de la pensée, si l'on entend par là un phénomène qui en annonce un autre comme la fumée annonce le feu. La parole et la pensée n'admettraient cette relation extérieure que si elles étaient l'une et l'autre thématiquement données; en réalité elles sont enveloppées l'une dans l'autre, le sens est pris dans la parole et la parole est l'existence extérieure du sens. Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p.211.

♦ Avoir la parole facile, une grande facilité de parole; avoir le don de la parole. Être éloquent, disert; s'exprimer aisément. Le plus riche négociant, dont la fortune était remarquable (...) plus recommandable encore par ses vertus publiques et privées que relevaient le don de la parole et un caractère de grandeur (Baudry des Loz., Voy. Louisiane, 1802, p.117).Il avait la parole facile et exposa son plan avec force détails (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p.171).J'avais une grande facilité de parole. Sans y prendre garde, j'en tirais vanité, j'en usais, j'en abusais, je prenais plaisir à me faire entendre (Billy, Introïbo, 1939, p.64).

♦ Proverbe. La parole est d'argent et (mais) le silence est d'or. Il est bien (bon) de parler et il est mieux (meilleur) de se taire. Les citoyens renonçaient tout à coup à la parole qui est d'argent et se réfugiaient dans un silence d'or (A. France, J. d'Arc, t.1, 1908, p.514).

− P. ext. Langage parlé ou écrit, expression parlée ou écrite de la pensée. L'impression sensible des sons de la voix articulée ou des caractères de la parole écrite s'émousse d'autant plus par l'habitude (...) que la langue parlée ou écrite nous devient plus familière, sans que jamais l'idée puisse se passer tout à fait du support de l'impression sensible (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p.170).Dès le matin du crime, les imprimeries ont été mises sous scellé, la parole a été supprimée par Louis Bonaparte, homme de silence et de nuit (Hugo, Nap.le Pt, 1852, p.109):

2. Pour lui [le phénoménologue], l'image est là. La parole parle, la parole du poète lui parle. Nul besoin d'avoir vécu les souffrances du poète pour prendre le bonheur de parole offert par le poète −bonheur de parole qui domine le drame même. Bachelard, Poét. espace, 1957, p.12.

♦ En partic. Liberté de (la) parole. Ensemble de garanties concernant le droit de s'exprimer. Les hommes parlèrent, et tout aussitôt commencèrent à médire de l'autorité, qui ne le trouva pas bon, se prétendit outragée, avilie, fit des lois contre les abus de la parole; la liberté de la parole fut suspendue (Courier, Pamphlets pol., Au réd. «Censeur», 1820, p.35).

− LING. [P. oppos. à langue, dans la terminol. saussurienne] Actualisation de la langue par un locuteur dans une énonciation; usage particulier qu'une personne fait de la langue. La parole est (...) un acte individuel de volonté et d'intelligence, dans lequel il convient de distinguer: 1oles combinaisons par lesquelles le sujet parlant utilise le code de la langue en vue d'exprimer sa pensée personnelle; 2ole mécanisme psycho-physique qui lui permet d'extérioriser ces combinaisons (Sauss.1916, pp.30-31).

B. − Action, fait de parler. Ôter la parole à qqn. Ah! non! Taisez-vous, maintenant. Puisqu'on me force à parler, au moins qu'on me laisse la parole! (Pagnol, Fanny, 1932, i, 1ertabl., 9, p.34).

♦ Adresser la parole à qqn. Parler directement à quelqu'un. Ne plus adresser la parole à qqn. Ne plus parler à quelqu'un. [Mon voisin de train] lit dédaigneusement un journal et adresse de temps en temps la parole à un homme en face de lui (Delacroix, Journal, 1854, p.234).Non seulement il ne tendit pas la main à Bloch, mais chaque fois que celui-ci lui adressa la parole il lui répondit de l'air le plus insolent, d'une voix irritée et blessante (Proust, Guermantes 2, 1921, p.382).

♦ Couper la parole à qqn. Interrompre quelqu'un. Permettez, commença le docteur (...) mais un geste impérieux du petit juge lui coupa la parole, et il termina sa phrase par un bredouillement confus (Bernanos, Crime, 1935, p.775).Tu es fatigué, charbonnier? Tu as faim peut-être? (...) Il eut une espèce de geste très las, qui lui coupa la parole: «Non, je t'assure, pas envie, me coucher, seulement (...)» (Aragon, Beaux quart., 1936, p.284).

En avoir la parole coupée. Être interrompu, ne plus pouvoir parler (sous l'effet de la surprise, de l'indignation, de la colère, etc.). Ma très chère «Sido» me posa sa main rapide sur le bras, me regarda de si près que j'en eus la parole coupée (Colette, Pays connu, 1949, p.36).

Rem. On relève des empl. de l'expr. couper la parole où le compl. prép. désigne un instrument de mus.: Un vigoureux «tutti» vient couper la parole au cor (Berlioz, À travers chants, 1862, p.24). Le violoncelle [dans l'Adagio du quatuor op. 59 No1 de Beethoven] (...) égrène soudain des pizzicati en triples croches, pressés, orageux et sourds comme des battements de coeur crescendo; tandis que les trois autres instruments cherchant à se couper la parole, clament, fiévreux, haletants, les premières notes du thème (Marliave, Quat. Beethoven, 1925, p.90).

♦ Passer, donner la parole à qqn. Inviter quelqu'un à parler, à donner son avis. Le visage de M. Thibault demeurait impénétrable; sa main molle se souleva vers l'abbé Binot, comme pour le prendre à témoin et lui donner la parole (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p.599).

♦ Prendre la parole. Parler en public, prononcer une allocution, un discours. Vous m'avez fait l'honneur de m'inviter à prendre la parole devant un auditoire aussi qualifié que le vôtre (De Gaulle, Mém. guerre, 1954, p.529).

Rem. On relève un empl. p.anal. où l'expr. prendre la parole a pour suj. un inanimé: Les voix argentines (...) de la Samaritaine (...) répétaient midi, midi! (...) et l'horloge du Louvre prit bientôt la parole avec plus de solennité (Nerval, Nouv. et fantais., 1855, pp.199-200). Le déclin du jour l'émouvait; les fleurs se colorent, les contours s'accusent, tout s'avive et prend la parole (Barrès, Sang, 1893, p.38).

− Loc., vieilli

♦ Être en parole (avec qqn). Être en conversation. (Dict.xixeet xxes.).

♦ Porter la parole. Parler au nom de plusieurs personnes. Un représentant n'a droit de porter la parole que pour ses représentés (Sieyès, Tiers état, 1789, p.80).Si vous ne trouvez pas d'indiscrétion à ma demande, dit Leuwen, je vous prierais de porter la parole, je suis odieux à ce petit préfet (Stendhal, L. Leuwen, t.3, 1835, p.182).

♦ Se prendre de parole(s) avec qqn. Se disputer avec quelqu'un. Un de Beaufort-Cauillac, étant à une fête de village, se prit de paroles avec un gentilhomme qui regardait par la fenêtre (Taine, Essais crit. et hist., 1858, p.233).

− En partic. [Dans une assemblée délibérante] Droit de parler. Obtenir la parole; donner, passer la parole (à qqn); accorder, refuser la parole (à qqn); garder la parole trop longtemps; temps* de parole. M. Leuwen (...) demande la parole pour un fait personnel. Le président la lui refuse. M. Leuwen se récrie, et la chambre lui accorde la parole au lieu d'un autre député qui cède à son tour (Stendhal, L. Leuwen, t.3, 1835, p.222).

♦ La parole est à qqn. C'est à quelqu'un de parler. Séance du 21 décembre 1906. −... La clôture, la clôture... Le Président: La parole est à M. Maurice Barrès (Barrès, Cahiers, t.5, 1906, p.84).La parole est au commissaire du gouvernement pour la lecture de son rapport (Vercel, Cap. Conan, 1934, p.81).

Au fig. C'est à tel moyen d'action de se manifester. Les belligérants, ayant dit que la parole est au canon, ne s'occupent plus de la morale (Le Dantec, Savoir, 1920, p.58).

♦ Avoir la parole. Être autorisé à parler. À la chambre, le ministre des finances lui dit: −Cher ami, il ne faut pas être insatiable. −En ce cas, cher ami, il faut être patient. Et M. Leuwen se fit inscrire pour avoir la parole le lendemain (Stendhal, L. Leuwen, t.3, 1835, p.234).

P. ext. Avoir la possibilité de parler. Padre, vous avez la parole pour l'histoire de votre premier lion (Maurois, Sil. Bramble, 1918, p.67).

− DR. Droit de parole. ,,Droit qu'a tout parlementaire et tout membre de l'assemblée nationale de demander à obtenir la parole dans une discussion, selon les conditions fixées par le règlement intérieur des assemblées`` (Cap. 1936). User de son droit de parole.

− JEUX. [À certains jeux de cartes]

♦ Avoir la parole. Avoir à son tour le droit de faire une annonce, une enchère. (Dict.xixeet xxes.).

♦ Passer la parole. Ne pas faire l'annonce ou l'enchère qu'on a le droit de faire à son tour et passer ce droit au joueur suivant. Absol. Parole! Je passe (Dict.xixeet xxes.).

C. − Façon, manière de parler. Parole brève, douce, froide, nette, sèche; parole lente, nasillarde; parole expansive, impérative; vivacité de parole. Un beau vieillard, aux cheveux et à la barbe d'argent, à la physionomie grave et douce, à la parole noble, suave et cadencée, tout à fait semblable à l'idée du prêtre dans le poëme ou dans le roman (Lamart., Voy. Orient, t.2, 1835, p.187).La parole gauche de Roberto tiédissait l'air comme un dégel (Gracq, Syrtes, 1951, p.129):

3. ... Richepin parle assez drolatiquement de deux parentes de sa femme (...). L'une, la mère, très exubérante, très grande parleuse; l'autre, une concise, mais formulant des phrases dans lesquelles était comme condensée toute l'exagération de la parole méridionale. Ainsi, la mère disant de son enfant, à propos de je ne sais quel petit méfait: «Alors, j'ai fait des noeuds à mon mouchoir, et je lui en ai donné!... Je lui en ai donné! −Oui, reprenait la soeur, oui, quand je suis montée à ses cris, sa chair n'était qu'une bouillie!» Goncourt, Journal, 1894, p.552.

− En partic. Éloquence. Puissance de la parole; efficacité de la parole; artisan, virtuose de la parole. Oscar recouvra son assurance, et, avec l'intarissable verve qui ne l'abandonnait jamais, il prit à partie cet adversaire imprévu [un avocat], et lui fit voir qu'il avait un maître dans l'art de la parole (Reybaud, J. Paturot, 1842, p.179).

Rem. On relève des empl. au fig. ou p.métaph. où parole est utilisé pour parler d'objets matériels: On ne peut comparer cette création [l'escalier de la tour hexagone du château de Blois] étourdissante de détails ingénieux et fins, pleine de merveilles qui donnent la parole à ces pierres, qu'aux sculptures abondantes et profondément fouillées des ivoires de Chine ou de Dieppe (Balzac, Martyr calv., 1841, p.92). Ma poitrine aspirait cette indéfinissable vapeur qui venait du fleuve, mon oreille s'emplissait avec joie du cri déchirant des sirènes et de la parole des cloches (Jammes, Mém., 1922, p.143). Tèole venait tous les matins à la place de l'église et elle écoutait. Ça commençait assez tard, avec le gros soleil, et tout d'un coup, elle avait sur elle la parole confuse et toute embrouillée des chutes d'eau et du torrent et ça lui crachait à la figure des paquets d'air frais (Giono, Eau vive, 1943, p.166).

II. − Au sing. ou au plur.

A. − Élément du langage parlé; mot ou suite de mots servant à exprimer la pensée. Sens, signification des paroles; partir sans prononcer une parole; citer les propres paroles de qqn; répéter, rapporter les paroles de qqn. Elle jeta ses regards au ciel, en pensant aux dernières paroles de sa mère, qui, semblable à quelques mourants, avait projeté sur l'avenir un coup d'oeil pénétrant, lucide (Balzac, E. Grandet, 1834, p.243).À peine sortions-nous par le grand portail que derrière la bascule municipale (...) deux individus encapuchonnés (...) partirent d'un seul coup (...) dirent en courant deux ou trois paroles coupées de rires (Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, p.133).Elle n'a eu qu'à dire quelques paroles, agissant de loin sur mon chagrin, débarrassant ma vie de ce qui me faisait tant de mal. Chacune de ses paroles rendait l'air plus léger (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p.104):

4. Pour que je comprenne les paroles d'autrui, il faut évidemment que son vocabulaire et sa syntaxe soient «déjà connus» de moi. Mais cela ne veut pas dire que les paroles agissent en suscitant chez moi des «représentations» qui leur seraient associées et dont l'assemblage finirait par reproduire en moi la «représentation» originale de celui qui parle. Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p.214.

− [Constr. dans un syntagme mettant l'accent sur l'aspect physique de la parole ou des paroles]

♦ Verbe + parole.Articuler une parole, des paroles; bredouiller, crier, grommeler, hurler, murmurer des paroles; arracher une parole à qqn; percevoir des paroles. Le prêtre, appuyé sur un genou, marmottait des paroles basses (Flaub., MmeBovary, t.2, 1857, p.179).Elle avait dû hausser le ton, car le hurlement d'Estelle couvrait ses paroles (Zola, Germinal, 1885, p.1148).Il ne vivait que par l'ouïe. Car il entendait des paroles, proférées alentour, mais sans consistance comme suspendues en l'air, dans l'irréalité d'un rêve (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p.184).

♦ Parole(s)+ adj.Paroles confuses, entrecoupées, hachées, indistinctes. Il ne put saisir d'abord ses paroles bégayées, coupées entre ses dents (Zola, Débâcle, 1892, p.539).

♦ Subst. + de, des parole(s).Le bruit des paroles; flot, flux, torrent de paroles. Il l'étourdissait ainsi d'un flot de paroles, d'hypothèses si saugrenues, que le capitaine, hors de lui, finit par couper court (Zola, Débâcle, 1892, p.512).Inutile de jeter des cris, c'était dit, et rien n'y ferait. La foudre n'eût pas agi autrement sur la malheureuse mère qui, sans voix, sans force, tremblante, laissa couler ce déluge de paroles (Aragon, Beaux quart., 1936, p.239).

− [Constr. dans un syntagme mettant l'accent sur l'expr., sur le contenu communiqué]

♦ Verbe ou loc. verb. + parole(s).Adresser des paroles à qqn; échanger quelques paroles avec qqn; calculer, mesurer, peser ses paroles; laisser échapper une parole; n'être pas avare de paroles; désavouer, démentir les paroles de qqn; dévorer les paroles de qqn; s'enivrer, se griser de paroles. Le jeune garçon semblait boire ses paroles (Sartre, Nausée, 1938, p.206).Il fut un temps où mes amis riaient de moi. Je n'étais pas le maître de mes paroles. Une certaine indifférence. Je n'ai pas toujours bien su ce que je voulais dire, mais, le plus souvent c'est que je n'avais rien à dire (Éluard, Donner, 1939, p.21).

♦ Parole(s) + adj. ou compl. déterminatif.Paroles absurdes, claires, compréhensibles, incohérentes, inintelligibles, oiseuses, sensées, vaines; paroles directes, naïves, simples; paroles ambiguës, équivoques, hypocrites, véridiques; paroles à double sens; paroles aimables, caressantes, conciliantes, consolantes, douces, touchantes; paroles acerbes, blessantes, brutales, désagréables, diffamatoires, injurieuses, offensantes, piquantes; paroles grossières, impies, obscènes, sacrilèges, violentes, vives; paroles imprudentes, compromettantes; parole(s) d'appel, d'avertissement, de blâme, de conciliation, de défi, de louange, de malédiction, de menace, de paix, de politesse; paroles de miel. François lui eut de la reconnaissance de ne pas casser, comme elle faisait souvent, par des paroles insignifiantes, un silence qu'il préférait à tout (Radiguet, Bal, 1923, p.136).Il y a les paroles d'espérance. Il y a ce pauvre trésor des promesses que nous recomptons sans nous lasser (Mauriac, Journal 2, 1937, p.186).Joseph prononça quelques paroles qu'il pensait des plus aimables et qui étaient, au sentiment de Suzanne, terriblement maladroites (Duhamel, Suzanne, 1941, p.206).

− Loc., vieilli. Avoir des paroles (avec qqn). Se disputer. Synon. avoir des mots (fam.).Les deux frères ne pouvant plus se rencontrer sans avoir des paroles (...) on partagea les terres (Fabre, Xavière, 1890, p.209).

♦ Ne pas avoir une parole plus haute que l'autre. V. haut1.

♦ Bonnes paroles. Paroles exprimant de la compassion, de l'intérêt, des encouragements pour quelqu'un. Le duc de Bourgogne arriva; il s'efforça de les apaiser en leur parlant doucement et leur disant de bonnes paroles. Mais ces gens-là n'entendaient rien (Barante, Hist. ducs Bourg., t.4, 1821-24, p.186).Ann était en ce moment affligée d'un rhume et d'un enrouement violents, et tout occupé (...) à la réconforter de bonnes paroles et à lui conseiller de bien prendre garde à son rhume, il oublia totalement de lui demander son second nom (Baudel., Paradis artif., 1860, p.406).

♦ (Faire) rentrer, renfoncer les paroles dans la gorge (la bouche) de qqn (à qqn). Empêcher quelqu'un de continuer à parler. Elle le baisa, comme pour lui rentrer les paroles dans la bouche. −Qui est-ce qui t'a appris de vilains mots? C'est défendu, il ne faut pas les répéter, mon chéri (Zola, Débâcle, 1892, p.518).−Après toi! glapit Barque, furieux, en s'adressant au sifflet empanaché. Mais le terrible appareil continuait de plus belle à renfoncer impérieusement les paroles dans les gorges. Quand il se tut, et que son écho tinta dans nos oreilles, le fil du discours était rompu à jamais (Barbusse, Feu, 1916, p.101).

♦ Moulin* à paroles.

− Proverbe. [En parlant de la versatilité, de l'habitude de changer d'avis] Les paroles du matin ne ressemblent pas à celles du soir. (Dict.xixeet xxes.).

− Vx. [Empl. où la lang. d'auj. utiliserait mot, nom, terme ou expression]

♦ J'achève en trois paroles. Je n'ai fait qu'apercevoir ce jeune homme, je ne lui ai dit que quatre paroles (Dumas père, Mari Veuve, 1832, 9, p.259).C'est Maheu qui m'amène monsieur (...) pour voir s'il n'y a pas une chambre en haut, et si nous ne pourrions pas faire crédit d'une quinzaine. Alors, l'affaire fut conclue en quatre paroles (Zola, Germinal, 1885, p.1191).

♦ Dispute de paroles. Discussion, débat qui ne porte que sur les mots, les termes (et où on laisse de côté le fond de la question). (Dict.xixeet xxes.).

♦ Jeu de paroles. Jeu de mots (Dict.xixeet xxes.).

♦ En paroles couvertes. À mots couverts. Je lui ai fait entendre cela en paroles couvertes (Ac.).C'était lui dire en paroles couvertes qu'il était un ignorant (Ac.).

B. − En partic.

1. [La parole ou les paroles considérées comme qqc. de superficiel, de vain, de périssable, p.oppos. aux écrits, aux actes, aux faits, etc.] Les paroles s'envolent, les écrits restent; les paroles et les actes; ce ne sont que des paroles. Ne nous laissons pas enfoncer par ce vieux finaud de papetier, il est temps de lui demander autre chose que des paroles (Balzac, Illus. perdues, 1843, p.618).La philosophie nominaliste (...) dénonçait dans les idées générales, dans les abstractions, un artifice de la pensée; elle n'y voyait rien de plus consistant que les mots les désignant, un bruit de paroles, «flatus vocis» (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p.134):

5. Ainsi m'est-il apparu une nouvelle vérité et c'est qu'il est vain et illusoire de s'occuper de l'avenir. Mais que la seule opération valable est d'exprimer le monde présent. Et qu'exprimer c'est bâtir avec le disparate présent le visage un qui le domine, c'est créer le silence avec les pierres. Toute autre prétention n'est que vent de paroles... Saint-Exup., Citad., 1944, p.5.

♦ En paroles. D'une manière purement verbale. En actes et en paroles. Les objections que le philosophe adresse aux mythes révolutionnaires ne sauraient faire impression que sur les hommes qui sont heureux de trouver un prétexte pour abandonner «tout rôle actif» et être seulement révolutionnaires en paroles (Sorel, Réflex. violence, 1908, p.39).

♦ Parole(s) en l'air. Propos vague, inconsidéré qui ne doit pas être pris au sérieux. La fausse gaîté de Mahaut donnait à penser qu'elle avait déjà oublié ce départ, qu'il pouvait peut-être le mettre sur le compte d'une parole en l'air (Radiguet, Bal, 1923, p.135):

6. La Faloise riait de son air crevé, avec des larmes dans les yeux (...). −Tu ne sais pas, dit-il un soir, après avoir reçu des calottes, très allumé, tu devrais m'épouser... Hein? Nous serions rigolos tous les deux! Ce n'était pas une parole en l'air. Il avait sournoisement projeté ce mariage, pris du besoin d'étonner Paris. Le mari de Nana, hein? Quel chic! Zola, Nana, 1880, p.1457.

− En partic. Promesses, assurances (qui ne seront pas tenues). Amuser qqn de paroles; payer qqn de, en paroles. Hélène: (...) Il a dit qu'il (...) allait faire cesser toute l'incertitude de mon sort passé. Gaston: Paroles, paroles que tout cela! (Dumas père, Fille du régent, 1846, i, 13, p.179).

♦ Belles paroles (péj.). Promesses, assurances trop belles pour être vraies. Les voilà, les hommes, tenez! Diseurs de belles paroles et quand on les prend au mot...! (Elle complète sa pensée en faisant craquer l'ongle de son pouce contre ses incisives supérieures) (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, iii, 19, p.73).Alors, tes brochures, tes conférences! Toutes tes belles paroles! Dans les congrès, oui! Mais devant une intelligence qui sombre, fût-ce celle d'un fils, rien ne compte (Martin du G., Thib., Pénitenc., 1922, p.725).

♦ Se payer de paroles. Croire tout ce qu'on dit, tous les propos tenus (de façon inconsidérée). (Dict.xixeet xxes.).

2. [Les paroles considérées comme ayant une force, une puissance spécifique, notamment en parlant des mots d'une formule] Paroles cabalistiques, incantatoires, magiques. Dans le cérémonial de noces bédouin le plus ancien, le fiancé revêt la fiancée d'un manteau spécial appelé «aba» en prononçant ces paroles rituelles: «Que nul autre que moi ne te couvre jamais!» (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p.238).L'évêque fait une pause pour donner plus de solennité aux paroles consécratoires: «Conférez donc, ô père tout-puissant, nous vous en supplions, la dignité sacerdotale à votre serviteur (...)» (Billy, Introïbo, 1939, p.145).V. charmeur ex. 1.

♦ Paroles sacramentelles. Paroles rituelles essentielles prononcées lors de l'administration d'un sacrement. Monsieur le curé, lui dit-elle, donnez-moi l'absolution. Le Père Longuemare murmura gravement les paroles sacramentelles (A. France, Dieux ont soif, 1912, p.274).

Fam. Formule nécessaire à l'accomplissement d'un acte plus ou moins ritualisé. Mettons-nous à table (...) car voilà qu'on vient nous annoncer que nous sommes servis. En effet, un domestique ouvrit une des quatre portes du salon et fit entendre les paroles sacramentelles: −Al suo commodo! (Dumas père, Monte-Cristo, t.1, 1846, p.497).Le dernier maringouin vint se poser sur la figure de la petite Alma-Rose. Gravement elle récita les paroles sacramentelles: −Mouche, mouche diabolique, mon nez n'est pas une place publique! Puis elle écrasa prestement la bestiole d'une tape (Hémon, M. Chapdelaine, 1916, p.81).

C. − Énoncé oral.

1. Pensée exprimée oralement sous une forme brève et remarquable. Parole célèbre, historique. Jordano Bruno, au seizième siècle, disait cette mémorable parole: «Quand je vois un homme, ce n'est pas un homme en particulier que je vois, c'est la substance en particulier» (P. Leroux, Humanité, 1840, p.247):

7. En 1848, les prolétaires de Paris, de Vienne, de Berlin tentèrent, en d'audacieuses journées, de dériver vers le socialisme le mouvement de la révolution. La fameuse parole de Blanqui: «On ne crée pas un mouvement, on le dérive» est l'expression même de cette politique. Jaurès, Ét. soc., 1901, p.XXVIII.

2. Engagement verbal, promesse verbale; p.ext. assurance donnée correspondant à un engagement personnel, promesse faite sur l'honneur. Parole d'honneur; donner sa parole d'honneur (v. honneur I B 1 a); tenir parole, sa parole; être fidèle à sa parole; faire honneur à sa parole; manquer de parole (à qqn). −Écoute, Guillaume... j'ai manqué à ma parole, j'ai manqué à ma parole le jour même où je me suis réellement senti une parole, le premier jour de ma vie d'homme (Bernanos, M. Ouine, 1943, p.1381).Je l'interrompis: «Tu vas me donner ta parole de rompre avec toute cette bande, ou tu quittes Paris ce soir même (...)» (Beauvoir, Mandarins, 1954, p.199):

8. Considérez-vous qu'un homme doive être mis au ban de la société quand il a commis le crime d'anthropophagie? Oui, n'est-ce-pas? Nous sommes d'accord. Mais s'il a commis ce crime uniquement par amitié, par fidélité, par dévouement, par respect de la parole donnée? Duhamel, Suzanne, 1941, p.112.

♦ Dégager, rendre, reprendre, retirer sa parole. Revenir sur un engagement. On ne peut rendre le désespoir auquel je me livrai quand elle me retira sa parole, en me disant qu'elle ne serait jamais à moi (Chênedollé, Journal, 1804, p.6).Nous sommes convenus que je puis reprendre ma parole jusqu'à la fin de l'année, lui restant engagé, en tout cas, si je le veux (R. Bazin, Blé, 1907, p.151).

♦ Rendre sa parole à qqn. Délier quelqu'un d'un engagement. La baronne ne serait pas éloignée de me rendre ma parole et de reprendre la sienne en échange (Sandeau, Mllede La Seiglière, 1848, p.269).

♦ N'avoir qu'une parole. S'en tenir strictement à ses engagements, respecter scrupuleusement ses engagements. Moi, je n'ai qu'une parole; je vous avais promis, en venant ici faire quelques emplettes, de vous apporter votre brevet de lieutenant... (Le tirant de sa poche et le lui présentant). Le voici! (Scribe, Bertrand, 1833, ii, 8, p.163).Tu me gardes toute ton affection? Tu peux, tu le sais, entièrement compter sur moi! Je n'ai qu'une parole! Tu me comprends! (Céline, Mort à crédit, 1936, p.450).

♦ Ne pas avoir de parole. Ne pas respecter ses engagements. (Dict.xixeet xxes.).

♦ Avoir deux, plusieurs paroles. Revenir sur ses engagements. Me connaissez-vous pour un homme qui a deux paroles? Allez au palais ce soir, ou vous êtes perdue (Musset, Lorenzaccio, 1834, iv, 4, p.223).

♦ Être de parole. Respecter ses engagements. Le colonel: −Je viens de voir un homme qui ne se propose rien moins que de lui brûler la cervelle s'il s'adresse à cette petite dame. Cet homme-là, madame, est de parole (Balzac, Paix mén., 1830, p.331).Il entendit le signal de la contredanse et se trouva tout à coup face à face avec Reine Lecomte. −À la bonne heure! s'écria gaiement la couturière, vous êtes de parole; donnez-moi le bras (Theuriet, Mariage Gérard, 1875, p.10).

♦ Homme de parole. Homme qui respecte ses engagements. Le duc, entrant: Allons, Lorenzino, je reconnais que tu es un homme de parole (Dumas père, Lorenzino, 1842, v, 6, p.277).

♦ Sur parole. Sans autre garantie que l'engagement pris. Jouer sur parole. La plupart de ses affaires s'étaient conclues sur parole, et il avait rarement eu des difficultés (Balzac, C. Birotteau, 1837, p.124).J'avais perdu sur parole, dans une maison de jeu, avec des Portugais. Le lendemain, il fallait donner cet argent (Loti, Mon frère Yves, 1883, p.46).Elle s'adresse à un personnage louche, un trafiquant d'armes que la Gestapo a arrêté, puis relâché sur parole, c'est-à-dire, sous condition qu'il serve d'indicateur (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p.217).

Liberté sur parole. Liberté accordée à un prisonnier sous certaines conditions qu'il s'engage sur l'honneur à respecter. (Dict.xixeet xxes.).

Prisonnier sur parole. Prisonnier auquel on accorde la liberté sous certaines conditions qu'il s'engage à respecter sur l'honneur. C'est depuis qu'il a sa famille que S.A.R. se sent en exil. Par délicatesse elle ne veut pas le quitter et lui ne veut pas se déguiser pour les frontières et la fuite (...). Prisonnier sur parole et sous la main émue des hêtres à quelle destinée songe-t-il? (Jacob, Cornet dés, 1923, p.236).P. ell. du déterminé. Le commandant de cette prison (...) accepta le chevalier comme un bienfait de la Providence; il lui proposa d'être à l'Escarpe sur parole, et de faire cause commune avec lui contre l'ennui (Balzac, Muse département, 1844, p.119).

Croire qqn/qqc. sur parole. Sans autre preuve que la parole. Quelles peuvent être les relations de la philosophie et des hommes? C'est seulement en leur nom et de leur part que sera dissipée l'équivoque du mot philosophie. Il ne faut point croire sur parole ses promesses abstraites et la générosité paresseuse qui coule dans ses mots (Nizan, Chiens garde, 1932, p.28).J'ai dit ce que je pensais, comme je le pensais (...). J'ai pu me tromper: personne n'est infaillible. Mais je ne vous avais pas obligé à me croire sur parole (Beauvoir, Mandarins, 1954, p.239).V. désavouer ex. 1.Empl. pronom. réfl. Nous possédons en nous toute une réserve de formules, de dénominations, de locutions toutes prêtes, qui sont de pures imitations, qui nous délivrent du soin de penser (...) C'est pourquoi il faut difficilement se croire soi-même sur parole. Je veux dire que la parole qui nous vient à l'esprit, généralement n'est pas de nous (Valéry, Variété III, 1936, p.282).

− Empl. interj. [Appuie, renforce une affirm., un propos] Parole! Ma parole! Sur ma parole! Parole d'honneur! Ma parole d'honneur! (v. honneur I B 1 a). Sur ma parole! murmura Rocambole après avoir lu la lettre, les femmes ne doutent de rien. Croire qu'un amoureux va faire trois lieues par la pluie et la nuit pour aller à un rendez-vous, c'est bien de la fatuité! (Ponson du Terr., Rocambole, t.3, 1859, p.456).Comment, Suzanne, vous êtes seule au jardin, seule au bord de la terrasse, comme la jeune Mélisande à sa fenêtre! Je descends, parole! Et je vous offre l'étrenne de ma barbe (Duhamel, Suzanne, 1941, p.188).On se croirait en révolution, ma parole! Ce n'est pas le cas pourtant, vous le savez bien (Camus, État de siège, 1948, 3epart., p.281).

− HIST., DR.

♦ Paroles de présent. [Avant le Concile de Trente] Déclaration, engagement de se prendre pour mari et femme qui tenait lieu de mariage. (Dict.xixeet xxes.).

♦ Vieilli. Donner parole, porter parole. Promettre, donner l'assurance à quelqu'un de. L'Espagnol, une dernière fois, voulut faire donner parole aux assistants, de ne rien divulguer de l'affaire (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p.302).

♦ Prendre parole, avoir parole de qqn. Faire promettre à quelqu'un de, avoir la promesse de quelqu'un que. (Dict.xixeet xxes.).

D. − Texte.

1. Mot ou expression d'un texte. Harmonie des paroles; méditer la parole, les paroles d'un philosophe; tourner les paroles d'un billet de plusieurs façons. Il faut copier de lui [Lessing] ces paroles admirables: «Ce qui fait la valeur de l'homme, ce n'est pas la vérité qu'il possède, ou qu'il croit posséder; c'est l'effort sincère qu'il a fait pour la conquérir (...)» (Gide, Journal, 1894, p.52).Comme j'envoyais un mot à Sonia, il m'a semblé qu'un grand oiseau d'azur traversait la page étalée sur laquelle j'écrivais des paroles d'excuse (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p.126):

9. Le scandale que provoqua la parole de Nietzche était le résultat d'une erreur et d'une apparence. Mais ce scandale abusa ses contemporains. Cette apparence scandaleuse lui venait de la violence lyrique et géniale avec laquelle sa parole s'attaquait aux dernières entraves qui empêchaient le libre citoyen, devenu monade autonome, de développer, jusqu'aux dernières conséquences, les droits qu'il détenait de son affranchissement. J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p.261.

♦ Histoire sans paroles. Dessin ou série de dessins, le plus souvent humoristiques, assez clairs pour se passer de légende(s). (Dict.xixeet xxes.).

− En partic., au plur. Texte d'une pièce de musique vocale. Les paroles d'une chanson, d'un livret d'opéra; mettre des paroles en musique; paroles et musique de X. Elle poussa un cri triste et doux, s'agenouilla et se prit à chanter quelques paroles d'une mélodie singulière (Sue, Atar-Gull, 1831, p.17).Chez Viardot. Musique de Glück chantée admirablement par sa femme (...) Je lui disais [à Chenavard] que les paroles de ces opéras étaient admirables (Delacroix, Journal, 1855, p.308).Une musique sans paroles, toute instrumentale (Schaeffner, Orig. instrum. mus., 1936, p.19):

10. À voix basse le romain chante au veilleur de nuit la chanson interdite Partant pour l'Éthiopie avanti... avanti... les fusils partiront tout seuls c'est moi qui vous le dis qu'ils partent donc tout seuls les fusils qu'ils s'en aillent nous resterons à la maison (...) le veilleur de nuit ne comprend pas toutes les paroles de la chanson mais il en comprend le sens et il recommence à rire... Prévert, Paroles, 1946, p.140.

2. [Dans le lang. des relig. révélées] La parole de Dieu, la parole divine, ou, absol. (avec une maj.) la Parole. Expression de la pensée, de la volonté de Dieu, telle qu'elle est révélée par l'Écriture Sainte (la Parole écrite) et par la Tradition (la Parole non écrite); p.ext. Révélation (la Parole révélée). L'âme chrétienne habituée à recevoir avec respect la parole révélée de l'écriture (Théol. cath.t.4, 11920, p.896).La foi s'est plu à voir en lui [Jésus-Christ] Dieu présent parmi nous, ou encore, le fils de Dieu, le Verbe incarné, la parole de Dieu, le révélateur du père, etc. (Philos., Relig., 1957, p.48-15):

11. L'écriture sainte n'étant pas pour le protestantisme un texte sacré, dont chaque parole est divinement inspiré, l'interprétation de l'écriture ne saurait être celle d'un code; le protestantisme ne lit pas la Bible verset par verset, il lit la Bible comme une unité. Il n'oublie pas la diversité historique de ses écrits, mais, dans la mesure où la Parole y retentit, il y retrouve l'unité de l'acte de Dieu à l'égard de l'homme. Philos., Relig., 1957, p.50-6.

♦ Paroles de vie. Prédication, enseignement religieux. Debout, dans la chaire de la parole de vie, un prêtre, seul vêtu de lin blanc au milieu du deuil général, le front chauve, la figure pâle, les yeux fermés, les mains croisées sur la poitrine, est recueilli dans les profondeurs de Dieu (Chateaubr., Génie, t.2, 1803, p.320).Le sombre Ézéchiel Sur le tronc desséché de l'ingrat Israël, Fait descendre à son tour la parole de vie (Lamart., Médit., 1820, p.265).

♦ Porter, prêcher la bonne parole. Prêcher l'Évangile. Les ligues d'abstinence où le révérend Humdrum portait la bonne parole et stigmatisait l'infamie des hommes désordonnés qui ne tiennent plus droit quand ils ont bu (Hamp, Champagne, 1909, p.234).J'ai écrit un sermon, une lettre, une dissertation sur le patriarche Simon le moabite, et persuadé à mon frère qu'au lieu de sculpter pour gagner quelques sous, il devrait aller porter la bonne parole dans les auberges (Jacob, Cornet dés, 1923, p.231).

P. ext. Tenir des propos rassurants ou raisonnables ou officiels auxquels on ne croit pas nécessairement. Il fallait que ça soye plutôt moi qu'irais porter la bonne parole! (...) C'était vraiment la tragédie pour que je me tape moi une corvée aussi cafouilleuse... Enfin je me suis bien ressoufflé, reblindé d'avance. J'ai répété tous les trucs... Tout ce que je devais raconter... Tout un agencement de bobards (Céline, Mort à crédit, 1936, p.506).

♦ Parole éternelle, Parole incréée. Le Verbe, fils de Dieu (d'apr. Marcel 1938).

♦ Ministère de la parole. Ministère consistant à annoncer le salut en Jésus-Christ, ou à développer l'enseignement concernant cette première annonce (d'apr. Foi t.1 1968). [Selon Luther] l'Église n'avait reçu du Christ qu'un ministère à remplir en excitant le pécheur à revenir aux sentiments de son baptême. À ce ministère de la parole, l'Église a substitué un pouvoir qu'elle exerce moyennant les trois éléments dont elle a constitué le sacrement nouveau (Théol. cath.t.14, 11938, p.559).

− Au fig. Parole d'évangile. V. évangile B 1.

Prononc. et Orth.: [paʀ ɔl]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.I. Faculté d'exprimer la pensée par le langage articulé A. Ca 1100 «expression verbale de la pensée» (Roland, éd. J. Bédier, 140: De sa parole ne fut mie hastifs, Sa custume est qu'il parolet a leisir); spéc. 1916 ling. distingué de langue* (Sauss., p.30). B. 1130-40 «action de parler» metre a parole «faire parler» (Wace, Conception N.-D., éd. W.R. Ashford, 651). C. Le langage oral considéré par rapport à l'élocution, au ton de la voix ca 1140 de sa pleine parole «à haute voix» (Pèlerinage de Charlemagne, éd. G. Favati, 8); ca 1165 parole basse (Benoît de Ste-Maure, Troie, 5299 ds T.-L.); 1160-74 (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, III, 1669: Sa voiz e sa parole mue). D. ca 1165 «faculté d'exprimer sa pensée par le langage articulé» (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 3068: De joie li faut la parole). E. 1606 «art de parler, éloquence» employer sa parole à gagner argent (Nicot); 1674 (Boileau, Art poétique, chant IV ds OEuvre, éd. F. Escal, p.184); 1740 avoir le don de la parole (Ac.). F. 1688 «droit de parler» (La Bruyère, Caractères, De la Cour, 17 ds OEuvre, éd. J. Benda, p.218: Ils ont la parole, président au cercle). II. Son articulé exprimant la pensée A. Suite de mots, message, discours, propos exprimant une pensée ca 1100 (Roland, 145: De cez paroles que vous avez ci dit...; 1097: Bon sunt li cunte e lur paroles haltes); 1160-74 (Wace, Rou, II, 867: [Li evesque] Ne fist pas grant parole ne ne fist grant sermon). B. spéc. 1155 «discussion, dispute» (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 4359); 1531 avoir des paroles ensemble (Perceforest, t.3, foch. 3 ds Littré). C. ca 1165 «promesse» doner parole (Benoît de Ste-Maure, op.cit., 13621, ibid.); 1560 prisonniers pour la parole (E. Pasquier, lettre 21 août, ds Lettres hist., éd. D. Thickett, p.45); 1628 (croire) sur vostre parole (Guez de Balzac, lettre 11 déc. ds OEuvres, éd. 1665, p.284); 1633 homme de parole (Id., lettre 4 juill., ibid., p.202). D. ca 1180 «expression verbale d'une pensée remarquable» (Thomas, Tristan, éd. B. H. Wind, fragm. Douce, 373: Oïstes uncs la parole). E. 1. ca 1180 «belle, vague promesse» (Proverbe au vilain, 181 ds T.-L.: De bele parole [var. promesse] se fait fous tout lié); 1377 paroles sourdes «paroles en l'air, mensonges» (Gace de La Buigne, Deduis, 10526, ibid.); 2. ca 1470 «phrase creuse, vide» paroles pleines de vent (Georges Chastellain, Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, t.5, p.143). F. 1. 1188 «enseignement» (Aimon de Varennes, Florimont, 1001 ds T.-L.); spéc. 1ertiers xiiies. (Vie de St Jean l'Évangéliste, 567, ibid.: avint ke li ewangelistes en une chité vint, Où il dist la parole [Luc III, 2]); 1670 la parole de Dieu «l'Écriture sainte» (Pascal, Pensées, § 555 ds OEuvres, éd. J. Chevalier, p.1260: Quand la parole de Dieu... est fausse littéralement, elle est vraie spirituellement); 2. fin xiies. la parole «le Verbe, la Parole faite chair» (Sermons de St Bernard, éd. W. Foerster, p.98, 22: cil [li troi roi el staule] reconurent la parole de deu lai ou il estoit enfes). Issu du lat. chrét. parabola (devenu *paraula par chute de la constrictive bilabiale issue de -b- devant voy. homorgane) «comparaison, similitude», terme de rhét. (Sénèque, Quintillien); puis, chez les aut. chrét.: 1. «parabole» (Tertullien, St Jérôme); 2. «discours grave, inspiré; parole», ce double sens étant dû à l'hébreu pārehāl (Job XXVII, 1: assumens parabolam suam «reprenant son discours»; Num. XXIII 7: assumptaque parabola sua, dixit; par la suite: Gloss. Remigianae: in rustica parabola «en lang. vulg.»), v. Ern.-Meillet, Blaise, Vaan., § 166, E. Löfstedt, Late Latin, pp.81 sqq. Le lat. est empr. au gr. π α ρ α β ο λ η ́ «comparaison [par juxtaposition], illustration» empl. dans les Septante au sens de «parabole» (Marc XII, 1). Parabola a supplanté verbum dans l'ensemble des lang. rom. (sauf le roum.) grâce à la fréq. de son empl. dans la lang. relig., verbum étant spéc. utilisé dans cette même lang. pour traduire le gr. λ ο ́ γ ο ς , v. verbe. Fréq. abs. littér.: 23572. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 37554, b) 32087; xxes.: a) 36456, b) 29082. Bbg. Darm. Vie 1932, p.92, 165. _Dinneen (F. P.). Analogy, langue and parole. In: [Mél. Reichling (A.)]. Lingua. 1968, t.21, p.98. _Gill (A.). La Distinction entre langue et parole en sém. hist. In: [Mél. Orr (J.)]. Manchester, 1953, pp.90-101. _Heger (K.). Die Semantik und die Dichotomie von Langue und Parole. Z. rom. Philol. 1969, t.85, no1/2, pp.144-215. _Mańczak (W.). Les Termes langue et parole désignent-ils qq. chose de réel? B. Soc. Ling. 1968, t.63, no1, pp.XXIV-XXVII. _Pierson (J. L.). Langue - parole?... Studia Linguistica 1963, t.17, pp.13-15. _Pollak (W.). Reflexionen über langue und parole. In: [Mél. Gossen (C. Th.)]. Moderne Sprachen. 1965, t.9, no2/4, pp.122-133. _Quem. DDL t.19, 20. _Richard (W.). 1959, p.9, 26, 86, 117. _Saussure (F. de). Cours de ling. gén. Paris, 1965, p.30, 31, 36-39, 138-139. _ Spence (N. C. W.). A hardy Perennial: the problem of la langue and la parole. Archivum Linguisticum t.IX, pp.1-27; Langue et parole yet again. Neophilologus. 1962, t.46, p

dimanche 14 novembre 2021

BAGOUT, subst. masc.

 BAGOU(T),(BAGOU, BAGOUT), subst. masc.

Fam. Bavardage volubile où entrent de la hardiesse, de l'effronterie et l'envie de duper l'interlocuteur :

1. Tout en parlant ainsi, avec cette facilité de paroles de la femme et de la Parisienne qui s'appelle bagou dans le langage de Paris, les yeux de Madame Mauperin, (...), étaient machinalement tombés sur de la lumière remuée par les mains de l'abbé... E. et J. de Goncourt, Renée Mauperin,1864, p. 75.

2. Hugues Le Roux. Dès qu'il arrive, il parle (...). À seize ans il devait avoir ce bagout éloquent. Tout de suite il a trouvé tout ce qui le compose, idées, parole, décoration. Il ne progresse pas, et il ne vieillira pas. Il a l'air invraisemblablement jeune et noué. Il ne bouge plus. Renard, Journal,1898, p. 461.

3. Je ne sais trop pourquoi je frayai avec Blanchette Weiss. Petite, replète, dans son visage bouffi de suffisance s'affairaient des yeux malveillants; mais je fus médusée par son bagout philosophique; elle amalgamait les spéculations métaphysiques et les commérages avec une volubilité que je pris pour de l'intelligence. S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée,1958, p. 237.

Rem. Noté comme ,,tout à fait populaire`` ds Littré et admis ds Ac. 1932 avec la notation ,,familier``; sans notation styl. partic. ds Besch. 1845 et Lar. 19e.

PRONONC. ET ORTH. : [bagu]. Bagou est l'orth. de Ac. 1932 (cf. également Littré, DG, Rob., Lar. encyclop., Quillet 1965, Dub.). Besch. 1845, Lar. 19e, Lar. encyclop., Quillet 1965 donnent ou ajoutent la graphie bagout.

ÉTYMOL. ET HIST. − xvies. bagos fam. « bavardage » (Le Valet a tout faire, p. 21 ds Gdf. Compl. : Faut il faire un maquerellage? A faire un bagos je fay rage En fournissant quelques moyens), attest. isolée; fin xviiies. bagou (Les Nouvelles Écosseuses, couplet IV ds Michel); fin xviiies. bagout (La fille volontaire, couplet V, ibid.), cette graphie l'emporte dep. Besch. 1845. Déverbal de bagouler « railler grossièrement » (1447, Arch. JJ 176, pièce 502 ds Gdf. : Par maniere de moquerie et autres raffardes malsonnans, Jacotin Pouletz le print a moquer et dire plusieurs goulardises, auquel le suppliant dist que se il ne cessoit de ainsi bagouler que on lui respondroit autrement); lui-même croisement entre bavarder* (FEW t. 4, p. 320a; EWFS2) et l'a. fr. goule, gule « bouche » (xiies., Chanson Guillaume, éd. Duncan Mc Millan, 372 ds T.-L. : Quant cil l'ataint, del poign al col le serret, De l'altre part le botat de sa sele...; Puis tent sa main juste la Tiedbalt gule, Si li tolit cele grant targe duble), forme encore attestée en Anjou (Verr.-On.) v. gueule. La graphie bagout est sans doute analogique de goût dont bagout aura été rapproché par étymol. populaire.

STAT. − Fréq. abs. littér. : 50.

BBG. − Eyraud (D.). Vers l'expansion du vocab. Vie Lang. 1969, p. 204. − Sain. Lang. par. 1920, p. 102, 147, 456. − Tailliez (F.). Un vx mot : le bagou. Vie Lang. 1954, p. 379.